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REFLEXIONS à MEDITER


DE L'INÉVITABLE ÉCART ENTRE LA LOGIQUE RELIGIEUSE ET LA RÉALITÉ SOCIALE : LE VIOL EN ISLAM

RELIGIOLOGIQUES, no 11, printemps 1995, pp. 193-208

DE L'INÉVITABLE ÉCART ENTRE

LA LOGIQUE RELIGIEUSE ET LA RÉALITÉ SOCIALE :

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LE VIOL EN ISLAM

Lyne Marie Larocque[1]

L’horreur des viols systématiques commis depuis le début du conflit en Bosnie est une réalité difficile à accepter et à comprendre.  Les témoignages qui nous sont parvenus à l’ère de « la guerre en direct » rapportent que 20 000 femmes ont été victimes de viols et que la grande majorité de ces femmes sont musulmanes.  L’Islam, en tant que système culturel, devra gérer cette réalité.

Nous tenterons de comprendre quel est le regard de l’Islam face à la problématique du viol.  Dans la dynamique sexuelle qui existe au sein de la culture islamique en général, comment le viol s’interprète-t-il ?  La population musulmane s’occupe-t-elle de ces victimes ?  Sont-elles acceptées ou rejetées par leur propre société ? Quelles sont les conséquences d’un viol ? Et dans une situation de viols systématiques, les conséquences sont-elles les mêmes ?

Afin de répondre à ces questions, nous ferons la synthèse des principes qui régissent le viol dans la Loi islamique, en nous référant à des exemples concrets et en examinant les mentalités qui prévalent dans les communautés musulmanes quant à la sexualité. Nous explorerons la réalité sociale qui, comme nous le verrons plus loin, ne reflète pas toujours les principes établis par la Loi islamique.  Nous tenterons par la suite d’expliquer cette divergence par une approche anthropologique.  Finalement, nous examinerons des cas de viols systématiques dans un contexte de guerre pour tenter d’anticiper quelles seront les répercussions sociales des viols en Bosnie.

À ce stade-ci, il est pertinent de noter que, bien que le sujet de la femme dans l’Islam et dans les sociétés musulmanes soit souvent discuté et analysé, il semble que le viol n’ait pas beaucoup retenu l’attention des écrivains ou des chercheurs, très peu de documents abordent ce sujet.  De même, très peu d’informations sont disponibles sur les viols en Bosnie, outre le témoignage des victimes.

Une des particularités de l’Islam est que les Lois islamiques ont été révélées au Prophète, et qu’elles sont, par leur origine même, considérées comme immuables.  Le Coran définit clairement les différentes relations sexuelles qui sont permises et interdites pour les croyants.  Cependant il omet de mentionner le viol, créant ainsi une problématique complexe pour les sociétés musulmanes.

Ce que dit la Loi islamique au sujet du viol

L’étymologie du mot Islam sous-entend une « soumission » à la volonté divine.  Les Musulmans retrouvent l’expression de cette volonté dans le Coran et dans la tradition du Prophète, les deux sources principales de la Loi islamique.

Dans la Loi islamique, les relations sexuelles permises sont bien définies.  L’adultère et la fornication sont strictement interdits pour les croyants : c’est ce que l’on nomme le zina.  Le zina est par définition n’importe quelle relation sexuelle entre deux personnes qui ne sont pas légalement mariées ou reconnues légalement comme ayant une relation de concubinage[2].  Le viol est habituellement apparenté à la notion de zina. Joseph Schacht, expert de la Loi islamique, ne fait que mentionner le viol dans sa définition du zina: «Le mariage avec une personne interdite est zina, tout comme l’est le viol, celui-ci pouvant aussi être considéré comme causant des dommages corporels.»[3]   G.S. Masoodi explique quant à lui que les Musulmans considèrent le zina comme étant un crime terrible et le définit comme suit: «Une union charnelle d’un homme (d’âge mûr et sain d’esprit) avec une femme (d’âge mûr et saine d’esprit) qui n’est pas légalement la sienne»[4], sans référence précise au viol.

Les quelques écrits qui traitent du viol et du zina ont comme préoccupation principale le débat qui existe autour des punitions imposées aux coupables.  L’analyse du contexte social dans lequel le zina a eu lieu n’est pas une priorité pour les experts de la Loi. Et puisque le zina est considéré comme un crime horrible, les sanctions seront d’une sévérité proportionnelle.

Les punitions dites hadd peuvent être appliquées aux personnes déclarées coupables de zina, et peuvent être la lapidation, l’amputation de membres ou des coups de fouet, cette punition variant selon le statut marital du ou de la coupable.[5]

La communauté légale s’entend généralement pour affirmer qu’il faut quatre témoins afin de prouver la culpabilité d’une personne dans un cas de zina.  Ces témoins doivent être de bons musulmans (et non des musulmanes), des hommes de bonne réputation.  Sans de tels témoins, il est impossible d’appliquer le hadd, à moins que la personne plaide volontairement coupable. Dans le cas où il n’y aurait pas de témoins, la sanction appliquée sera dite tazir, et pourra être des coups de fouets, des amendes et/ou l’emprisonnement.  Les faux témoignages seront également punis sévèrement.  Dans les cas de viols, puisqu’il est rare qu’un tel crime soit commis en public devant quatre témoins mâles qui sont de bons musulmans, punir le coupable est parfois difficile.

Dans un article publié dans le Islamic and Comparative Law Quarterly, Aminul Hasan Rizvi explique clairement que seule une personne ayant consenti librement à participer au zina doit être punie.  Dans le cas d’un viol, distingué par le terme zina bi’l-jabr, seul le violeur doit être puni.  D’après ses recherches, il y aurait deux cas de viols dans les sources authentiques de l’Islam.  Les deux violeurs auraient été punis alors que les deux victimes ne l’auraient pas été.  D’où, conclut Rizvi, l’existence d’un consensus dans la communauté légale établissant que les femmes ayant participé contre leur gré et sans donner leur consentement au zina ne sont pas coupables vis-à-vis de la Loi islamique.

Ceci résume les positions généralement acceptées dans la communauté légale islamique.  Elles ne se veulent pas exhaustives et n’ont pour but que de faire un bref tour d’horizon des différentes interprétations.

L’application de la Loi dans les sociétés musulmanes

Les difficultés de l’application en société de ces principes légaux sont visibles dans la loi pakistanaise qui régit le zina. Établie en 1979, très peu de distinctions existent dans cette loi entre les crimes de viol, ceux d’adultère ou de fornication : ils sont tous considérés comme des crimes faisant outrage aux bonnes mœurs et aux règles sexuelles formulées par le Coran. Rubya Mehdi commente : « En faisant de la fornication et de l’adultère un crime, cette loi réduit l’abomination du viol, puisque la fornication, l’adultère et le viol sont considérés sur le même pied par la loi »[6].  Cette loi pakistanaise est machiavélique car si une femme intente des poursuites pour viol contre un homme, et qu’il est possible de prouver qu’il y a eu une relation sexuelle mais impossible de déterminer si la femme n’a pas été consentante, elle pourrait être poursuivie pour le crime de fornication ou d’adultère !

Une autre loi, celle-ci tunisienne, démontre bien que ce n’est pas l’acte de violence qui est punissable dans le zina, mais bien le statut illégal de la relation sexuelle.  La loi de 1969 sur le viol impose qu’un tel crime soit puni, sauf si l’agresseur consent à épouser sa victime.  Dans ce cas, le violeur ne sera pas puni.[7]

Ce qui semble découler de ces différentes législations est que le viol n’est pas considéré indépendamment de la relation sexuelle. Alors qu’en Occident il est généralement accepté que le viol est un crime de violence qui a peu en commun avec la relation sexuelle, dans les divers pays de l’Islam, c’est l’acte sexuel non légitime qui est la source du crime.

Afin d’illustrer la différence entre les perspectives occidentale et islamique, G.-H. Bousquet explique que, dans l’école de droit malékite[8], une relation sexuelle avec un être non sexué — avec un animal ou avec un bambin, par exemple — ne peut pas être considérée comme un zina[9].  Si un enfant est trop jeune pour éprouver une sensation sexuelle à la suite d'une agression sexuelle, il n’y aura pas eu de viol.  Ces comportements ne sont pas souhaités et seront punis, mais ils ne seront pas considérés comme sexuels et il n’y aura pas eu de zina.

La virginité, l’honneur et le viol : un aperçu de la réalité sociale

Nous allons voir que, au plan social, la perception des gens diffère quelque peu de la Loi et des règles juridiques établies par les différents États, tout en tenant compte de « l’élément humain » qui souvent colore les situations.

Le viol, impliquant un aspect privé de la vie des gens, comporte un tabou social.  Il y a une certaine attitude face à la sexualité dans les sociétés musulmanes qui ne peut être négligée lors d’une discussion sur le viol.

L’Islam exhorte fortement les croyants à mener une vie chaste, autant les hommes que les femmes (Coran 24, 30-31).  La chasteté implique deux choses : elle exige un comportement modeste qui n’incite pas à l’activité sexuelle et elle interdit toute activité sexuelle avant le mariage.  Être chaste n’est pas synonyme d’être vierge.  Mais les différentes perceptions face à la sexualité et face à la virginité des femmes se confondent avec les notions de vertu et d’honneur dans la plupart des sociétés musulmanes puisque, socialement, l’individu applique la notion d’honneur tant à lui-même qu’au clan.  Ce lien entre l’honneur et la sexualité féminine semble particulièrement important dans les sociétés arabo-musulmanes.

Sana al-Khayyat définit l’honneur comme tel : « Parce qu’un Arabe représente son clan, son comportement doit être respectable afin de ne pas déshonorer le groupe.  Un homme peut honorer son clan et aspirer aux honneurs par ses actions généreuses et par son courage…  Mais la notion de l’honneur la plus importante est celle reliée au comportement des femmes.  Si une femme n’est pas modeste et inculque la honte à sa famille par sa conduite sexuelle, c’est tout son clan qui portera la honte et le déshonneur. »[10]

Nawal El Saadawi, médecin et activiste féministe, nous indique que, pour la communauté musulmane, « l’honneur d’un homme est protégé tant que les femmes de sa famille ont leur hymen intact.  L’honneur est plutôt relié au comportement des femmes de sa famille qu’à son propre comportement.  Cette situation existe parce que l’expérience sexuelle chez l’homme est une source de fierté et un symbole de virilité alors que l’expérience sexuelle chez la femme est une source de honte et un symbole de déchéance. »[11]

Elle rapporte, dans ses différents écrits, les injustices que peuvent subir les femmes musulmanes lorsqu’elles sont incapables de prouver leur chasteté.  Elle mentionne plusieurs exemples de femmes qui ont été injustement accusées de ne plus être vierges par le simple fait qu’elles n’ont pas saigné lors de la consommation du mariage.  Une telle accusation est passible d’une sanction qui peut se traduire par la mort physique, par un ostracisme et une exclusion de la communauté qui est l’équivalent d’une « mort sociale ».  Elle peut aussi se terminer en divorce honteux sans autre forme de procès.

C’est cette attitude, qui prévaut et qui persiste dans la plupart des sociétés musulmanes, qui fait en sorte que le viol se confond avec les activités sexuelles normales.  Peu importe les circonstances dans lesquelles la femme a perdu sa virginité, le fait que l’hymen ne soit plus intact semble être le critère le plus important.

Citant L. Bercher, Bousquet explique que, le viol étant perçu comme ayant des répercussions sociales très graves, la victime est fortement dissuadée par la collectivité de porter des accusations. Le coupable d’un viol est passible de la peine de mort et, puisqu’il est souvent connu de la victime, une pression est souvent exercée sur cette dernière afin qu’elle garde le silence.  De plus, porter une accusation de viol signifie dire ouvertement et publiquement que la victime n’est plus vierge.  Elle sera perçue comme n’ayant pas de bonnes mœurs, chose honteuse pour la famille et dévastatrice pour la victime.  Finalement, les tabous reliés à la sexualité font qu’il est scandaleux de parler de telles choses.  Entre tous ces maux, il semble que les musulmanes préfèrent garder le viol secret autant que possible.

El Saadawi interprète les conséquences d’un viol de cette façon : « La réputation de la famille peut être perdue si une de ses filles perd son hymen prématurément, même en tant que victime de viol.  Le viol reste donc secret, permettant ainsi à l’agresseur de ne pas être puni.  Le vrai criminel est protégé alors que la victime, qui a perdu sa virginité, est condamnée "à vie" à la perte de son honneur. »[12]

L’article 276 du Code criminel égyptien est clair sur le fait qu’un homme qui a une relation sexuelle avec une femme non consentante doit être puni[13].  Il définit l’absence de consentement d’une façon très large : il inclut toute situation où une pression est exercée sur la femme de façon explicite et implicite.  En théorie, les femmes sont protégées par cette loi qui, par sa définition, se rapproche de la conception occidentale du viol.  Mais Safia K. Mohsen — elle-même avocate — explique que le viol n’est pas un crime souvent dénoncé en Égypte, à cause du préjudice que cela pourrait causer à la réputation de la famille.  Elle explique que le viol réduit la « valeur » de la femme, car l’honneur de la famille est basé sur la bonne réputation de ses femmes.  Une femme qui avouerait avoir été violée ne pourra trouver mari, et sa réputation ternira celle de ses sœurs[14].  Elle cite l’exemple d’une jeune femme qui a été violée par son oncle.  Son frère, en l’apprenant, a conspiré avec l’oncle coupable pour tuer la jeune fille.  À son procès, il a plaidé qu’il voulait épargner à sa sœur une vie de honte et de solitude.  Il défendait l’honneur de la famille et celui de sa sœur en la tuant.

Un autre exemple illustre comment cette perception de honte peut être appliquée au viol.  Une jeune femme, elle aussi égyptienne, fut violée dans sa propre maison par des domestiques. Elle était fiancée et devait se marier la semaine suivante avec son cousin qui l’aimait.  Malgré tout, après le viol, il l’a abandonnée, ne voulant plus jamais la revoir.  Le policier affecté à l’enquête fut pris de sympathie pour elle et ordonna à un de ses officiers de l’épouser afin d’effacer le stigmate qui pourrait la suivre et sauva ainsi sa réputation.

Ce concept de la honte est profond et persistant dans la psyché des musulmans, même s’ils vivent dans un contexte social où la majorité de la population est non musulmane et n’adhère pas à ces stigmates face au viol.  En 1993, à Montréal, une jeune fille musulmane d’origine maghrébine fut violée par son beau-père, lui-même musulman, et ce pendant une période de deux ans.  Elle a finalement quitté la maison de sa mère pour aller vivre avec son père, la situation étant intolérable.  Mais même son père lui rendit la vie difficile.  Il lui aurait dit à plusieurs reprises qu’il lui était impossible de la respecter puisqu’il la considérait maintenant souillée et ruinée.  La jeune femme a dû recourir aux services sociaux afin que ceux-ci puissent lui trouver un autre foyer. Survivre au viol fut difficile, mais survivre au stigmate apporté par l’événement fut tout aussi difficile, sinon plus.

Ces exemples illustrent que les circonstances de la perte de la virginité sont peu considérées.  Malgré le fait que la Loi islamique et les sources authentiques disent que la victime d’un viol doit être exonérée de sanctions, socialement, ces lois ne sont pas intégrées. Lorsqu’elle a été victime d’un viol, la femme est exclue de la vie normale et stigmatisée.

Le viol, une injure à l’ordre social

Pour tenter d’expliquer les tabous et la honte qui sont associés au viol dans l’Islam, nous allons nous référer aux notions de pureté et de souillure telles que l’entend Mary Douglas.  Elle définit la souillure comme étant ce qui vient interrompre l’ordre établi à l’intérieur d’un système.  « La saleté est le sous-produit d’une classification systématique des objets ou des choses puisque la classification en elle-même sous-entend le rejet des objets inappropriés »[15].  Elle poursuit sa définition en disant que « les objets ou situations qui nous troublent, qui refusent de se faire classifier, nous les rejetons ou les ignorons afin qu’ils ne viennent pas déranger l’ordre établi. »[16]  Douglas explique qu’il doit se développer dans une société des rituels qui permettent de réintégrer, dans l’ordre établi, ces « choses » qui causent la souillure.

Nous allons illustrer cette notion par un exemple qui était, il n’y a pas si longtemps, relativement courant.  Une jeune fille non mariée et enceinte était considérée dans notre société nordaméricaine comme une femme souillée : par le fait d’avoir un enfant sans être mariée, elle n’était pas à sa place dans un système social qui dictait que, dans l’ordre des choses, les enfants ne doivent naître que d’un mariage.  Cette jeune femme, troublant l’ordre établi, était rejetée et devait s’exiler dans une autre ville, le temps d’avoir son enfant.  La jeune femme donnait ensuite son bébé en adoption, rituel qui la purifiait socialement, de sorte qu’elle pouvait de nouveau retourner chez elle et réintégrer la vie normale.  L’enfant adopté, quant à lui, subissait une purification en intégrant une famille : ce rituel effaçait la stigmatisation qu’il aurait pu y avoir à son égard s’il avait vécu seul avec sa mère, sans pouvoir porter le nom de son père.

Dans les sociétés islamiques, il ne semble pas y avoir de tels rituels qui permettraient à une femme violée, souillée par une relation sexuelle non légitime, de se débarrasser de cette souillure et de réintégrer la société.  Puisque le viol est une injure à un ordre établi — les règlements qui régissent les relations sexuelles établies par le Coran — et que la société est dépourvue de moyens pour classifier cette situation, la victime doit donc être évacuée et bannie de la société, tel que démontré dans les exemples précédemment utilisés.

Il est important de noter que les notions élaborées précédemment — soit la virginité et l’honneur face à la problématique du viol — circulent dans la plupart des sociétés musulmanes, indépendamment de la culture ou du pays d’origine. Les différents exemples utilisés l’illustrent bien d’ailleurs car ils proviennent de pays et de cultures différents.  Il existe certainement dans un autre système religieux que l’Islam ou dans un système culturel autre que musulman des notions se rapportant à la virginité et à l’honneur semblables à celles que préconisent les musulmans.  Nous insistons sur le fait que c’est le Coran qui, par son silence sur le viol, construit la structure de l’interprétation des relations sexuelles et définit ce qui est légitime et ce qui est souillure.

Le viol des musulmanes dans un conflit armé

Nous cherchions à savoir si le même stigmate social est imposé aux femmes victimes de viols dans un contexte où le nombre des victimes est grand, tel que présentement en Bosnie, où la question de bonnes mœurs ne devrait plus exister, tous étant conscients et souvent témoins de ces viols.  Il est beaucoup trop tôt pour discerner les répercussions sociales qui affecteront ces femmes.  Ces victimes de viols se trouvent présentement soit dans des camps de réfugiés ou à l’extérieur de leurs villes.

Durant la guerre entre le Pakistan et le Bengale en 1971, les femmes bengalîs ont vécu une situation similaire.  Malgré les différences ethniques et culturelles démarquant les Bosniaques et les Bengalîs, il est possible de faire certains parallèles.

Durant les neuf mois du conflit qui ont opposé le Pakistan et le Bengale, plus de 200 000 femmes bengalîs auraient été violées par des soldats pakistanais : 80% auraient été musulmanes, les autres étant hindoues ou chrétiennes.

Le gouvernement du Bangladesh a, à la suite de ce conflit, lancé une campagne médiatique promulguant que toutes ces femmes violées étaient des « Héroïnes de la Guerre d’indépendance ».  Une telle stratégie gouvernementale peut être interprétée, selon la théorie de Mary Douglas, comme étant le rituel permettant aux femmes d’être purifiées socialement et de réintégrer cette société traditionnelle où un mari ne reconnaîtrait plus son épouse violée et où un homme ne prendrait jamais pour conjointe une telle femme.  Mais cette campagne médiatique n’a pas eu les effets souhaités.  Malgré le fait que les hommes étaient au courant de la façon dont les femmes avaient été violées, malgré le fait que plusieurs maris auraient été témoins du viol de leur femme, de leurs sœurs et de leur mère, des milliers de femmes se sont retrouvées à la rue, rejetées par leur famille et leur communauté.

À quoi peut-on s’attendre lorsque prendra fin le conflit bosniaque ?

D’après le témoignage d’une personne qui travaille pour le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies[17], très peu de viols sont rapportés dans les camps de réfugiés.[18]  Cela pourrait s’expliquer par le fait que les femmes veulent se protéger du stigmate social qui pourrait découler d’une telle délation.

La Mission déléguée par la Communauté Économique Européenne afin d’enquêter sur les viols systématiques — la Mission Warburton —, a déjà anticipé une telle stigmatisation des femmes musulmanes en ex-Yougoslavie.  Les considérations générales du rapport de la Mission nous indiquent : « Le viol est une violation de l’intégrité physique et psychologique de la femme, et ce crime implique une forte stigmatisation sociale.  Pour les femmes musulmanes, ceci peut signifier une marginalisation sociale et un rejet par la communauté, à moins qu’une action

positive puisse y remédier. »[19]

Dans ses recommandations, la Mission Warburton préconise que les traitements psychologiques offerts aux victimes prennent en considération la complexité et les répercussions à long terme des problèmes causés par ces viols, la résistance à parler du viol, la stigmatisation associée au viol, la réticence des femmes à demander de l’aide et le fait qu’elles ne veulent pas automatiquement se faire reconnaître comme victimes de viol.[20]

Il y a eu une brève campagne médiatique à l’automne 1993 où une autorité musulmane a déclaré que toutes les femmes violées dans l’ex-Yougoslavie doivent être considérées comme n’ayant pas été violées, et que les femmes qui auparavant étaient vierges doivent encore être considérées comme étant vierges.  Une telle déclaration ressemble étrangement à l’effort entrepris par le gouvernement du Bangladesh à la suite du conflit de 1971 qui avait pour but de réintégrer socialement les femmes victimes de viols dans la société.  Si l’expérience du Bangladesh est un indicateur des sociétés musulmanes en général, nous pouvons présumer qu’un tel effort n’aura que peu de résultats en Bosnie. Malgré un écart de deux décennies entre ces deux conflits, tout semble indiquer que les attitudes des musulmans face à la sexualité n’ont pas beaucoup changé.

Les exemples et les différentes interprétations que nous avons évoqués nous permettent de comprendre que le viol n’est pas perçu dans les sociétés islamiques de la même façon qu’il l’est dans les sociétés occidentales.  Dans ces dernières, le viol est surtout considéré comme une attaque physique et psychologique sur la personne, alors qu’en Islam, le viol reste étroitement lié à la sexualité et à ses tabous.

Malgré les principes de droit islamique qui stipulent qu’une femme n’ayant pas consenti à participer au zina ne doit pas être punie, l’application de ces principes n’est pas visible dans les sociétés musulmanes.  Une corrélation semble s’établir à l’effet que le viol tend à avoir la même connotation qu’une activité sexuelle normale.  Si on compare la situation d’une femme violée dans un contexte particulier et la situation des femmes qui sont collectivement violées dans un contexte de guerre, peu de différences apparaissent quant à la stigmatisation et à la marginalisation de celles-ci.  Une telle stigmatisation s’applique même lorsque la communauté est parfaitement au courant des circonstances entourant ces viols, comme ce fut le cas au Bangladesh.  Nous pouvons présumer que ces mêmes principes s’appliqueront aussi à la Bosnie.  Toute tentative de changement ou d’imposition d’une quelconque forme de rituel de purification par une stratégie gouvernementale ou religieuse n’aura probablement aucun effet sur les masses et sur la perception sociale.

L’Islam, en tant que système religieux, est silencieux sur le viol.  Les sociétés musulmanes, en tant que systèmes culturels, sont incapables ou ont de grandes difficultés à réintégrer ces victimes dans leurs sociétés : par la structure même des relations sexuelles telles que définies par le Coran; suivant l’interprétation sociale qui résulte de cette définition et de la gravité implicite des crimes d’adultère et de fornication; et malgré toutes les lois civiles votées par les différents gouvernements de pays dont la population est en majorité musulmane.

SUMMARY

ISLAM AND RAPE

Having heard of the so-called «new» weapon of war in the Bosnian conflict, our attention turned towards the Muslim woman victim of rape.  Trying to understand the sexual dynamics of islamic societies in general, many questions arose.  How do muslim populations care for these victims?  Is Islam as a culture able to deal with such circumstances?  And, is the rape of a single woman in a particular setting considered differently than the rapes of many, if not most of the women within a community?  Whereas the status of women in Islam is often talked about, analysed, discussed and explored, rape is, so it appears, a non-issue.

Rape is usually listed under the heading zina, which is by definition, «any sexual intercourse between persons who are not in state of legal matrimony or concubinage».  Scholars concerned with the notions of rape and zina are not concertrating their research on the social context in which the sexual encounter occurs, but rather on the punishment that should be imposed on people who do not abide by the islamic prescriptions.  And because zina is viewed as a terrible crime in Islamic Law, the punishment is proportional to its gravity.

While the legal and religious theories may be spelled out fairly clearly, social realities often stray from the guide lines.

The difficulty of applying the islamic legal principles can be observed in light of some legislations existing on zina in different muslim countries.  What seems to stem out of these different laws, which ultimately reflect the society more than the islamic principles, is that rape is not readily distinguished as a crime separate from adultery or fornication.  This constrasts with the occidental perspective where rape is considered a violent crime that has little to do with sexuality.

Islam does state that both men and women should lead a chaste life (Koran 24: 30-31).  But chastity, though it implies refraining from sexual activities or sexual behaviors that may entice this sort of activity, does not necessarily imply virginity as a necessary disposition for marriage or for the social recognition as being chaste.  However, another element complicates the already complex issue of sexuality within arabic muslim societies: it is the problem related to virtue, honor, and virginity.  These values are particularly important when examining rape.

Trying to understand the taboo and the shame that is associated with rape, we will refer to Mary Douglas' notion of pollution, where she defines pollution as matter or things that are out of place within an established system.  Rape, in its own way, contradicts the accepted sexual behavior.  Douglas explains that there needs to be rituals to reintegrate within society those elements that contradicted the established system.  However, there seems to be no rituals in most islamic societies that allow the raped woman to be reintegrated socially.

It is very premature to study the particular case of Bosnia, as the victims of rapes are still displaced from their own towns and cities.  However, when considering other muslim societies, one is lead to think that these women will find it difficult to deal with the stigma of having been immodest and unchaste since Islam, as a cultural system, has difficulty in assessing rape as an act unrelated to sexuality and distinct from zina.



[1] Lyne Marie Larocque prépare actuellement une thèse de doctorat en sciences des religions à l'Université du Québec à Montréal.  Elle détient une maîtrise sur l'Islam en Asie centrale du Institute for Soviet and East European Studies de l'Université Carleton, Ottawa.

[2] Joseph Schacht, «Zina», First Encyclopaedia of Islam 1913-1936, New York, E.J. Brill, 1987, pp. 1227-1228.

[3] Ibid., «Marriage within the forbidden degrees is simply zina, as is rape, which can also be regarded as doing bodily harm. »

[4] «…[a] carnal conjunction of a male (of a mature age and sound mind) with a female (of like description) who is not lawful to him. » S. Aminul Hasan Rizvi, G.S. Masoodi, Danial Latifi, Tahir Mahood,

«Adultery and Fornication in Islamic Jurisprudence: Dimensions and Perspectives — Seminar», Islamic and Comparative Law Quarterly,

II, 4, 1982, p. 278.

[5] L’Islam considère qu’une personne célibataire, qui n’a pas de partenaire pour satisfaire ses besoins naturels, peut avoir de la difficulté à résister à la fornication ; sa punition sera moins sévère. Quant à la personne mariée, elle sera punie plus durement puisqu’elle a la possibilité d'assouvir ses besoins naturels dans le mariage.

[6] «By making fornication/adultery in itself a crime, the ordinance reduces the stress on rape as a heinous crime, since fornication/adultery are also similar crimes in the eyes of the ordinance. » Rubya Mehdi, «The Offense of Rape in the Islamic Law of Pakistan», dans International Journal of the Sociology of Law, 18, 1990, p. 24.

[7] Rapporté par Nawal El Saadawi, The Hidden Face of Eve. Women in the Arab World, Boston, Beacon Press, 1982, p. 20.

[8] Il y a quatre grandes écoles juridiques dans le monde musulman. L’école malékite est prédominante aujourd’hui surtout en Afrique du Nord.

[9] G.-H. Bousquet, L’éthique sexuelle de l’Islam, Paris, Desclés de Brouwer, 1990, p. 73.

[10] «Because an Arab represents his kin group, his behavior must be honourable so that the group is not disgraced. (…) A man can bring honour both to his kin and to himself by showing generosity or courage… But the most important connotation of honour in the Arab world is related to the sexual conduct of women. If a woman is immodest or brings shame on her family by her sexual conduct, she brings shame and dishonour on all her kin. » Sana al-Khayyat, Honour and Shame. Women in Modern Iraq, London, Saqi Books, 1990, p. 21.

[11] «A man’s honor is safe as long as the female members of his family keep their hymens intact. It is more closely related to the behavior of the women in the family, than to his own behavior. […] At the root of this … situation lies the fact that sexual experience in the life of a man is a source of pride and a symbol of virility; whereas sexual experience in the life of women is a source of shame and a symbol of degradation». Voir El Saadawi, The Hidden Face of Eve, p. 31.

[12] «The reputation and standing of a family may be irrevocably lost if one of the daughters loses her hymen prematurely, even though a victim of rape. This is why an incident of rape is kept a close secret and rarely divulged, thus enabling the aggressor to escape scot free. The real criminal remains safe, out of reach, protected from the hands of the law, whereas the victim who loses her virginity (…) is doomed to lose her honour for life. » Ibid., p. 19.

[13] Safia K. Mohsen, «Women and Criminal Justice in Egypt», Daisy Hilse Dwyer (ed.), Law and Islam in the Middle East, London, Bergin & Garvey Publishers, 1990, p. 20.

[14] Ibid., p. 22.

[15] «Dirt is the by-product of a systematic ordering and classification of matter in so far as ordering as a systematic ordering involves rejecting inappropriate elements. (…) In short, our pollution behavior is a reaction that condemns any object or idea likely to confuse or contradict cherished classification. » Mary Douglas,

«Symbolic Pollution», Jeffrey C. Alexander et Steven Seidman (ed.), Culture and Society. Contemporary Debates, Cambridge, Cambridge

University Press, 1993, p. 155.

[16] «Uncomfortable facts, which refuse to be fitted in, we find ourselves ignoring or distorting so that they do not disturb these established assumptions. » Ibid., p. 154.

[17] Nous voudrions remercier Madame Michèle Voyer de nous avoir accordé une entrevue téléphonique en décembre 1993, à Montréal.

[18] Bien que les témoignages des femmes musulmanes existent, la majorité des viols rapportés et des témoignages apportés auprès des différents organismes impliqués dans le conflit bosniaque sont des femmes serbes ou croates.

[19] «Rape is a violation of a woman’s physical and psychological integrity and the crime carries with it a formidable social stigma. For many Muslim women, this may lead to social marginalisation and rejection by their former communities, unless there is positive action to counteract this. » Declaration on the follow-up to the Warburton Mission, European Political Cooperation, Press Release, Brussels, 1 February 1993, p. 4.

[20] «… [the psychological therapies should take] into account the complex and long term nature of the problems experienced, the reluctance to disclose sexual violation, the social stigma associated with rape, the unwillingness of women to seek out help and the fact that they do not wish to be readily identified as rape victims». Ibid., p. 9.


07/08/2018
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Cheikh Ahmadou Bamba était-il réellement un Sénégalais ?

 

 

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Cheikh Ahmadou Bamba est né au Sénégal. Issu d’une lignée peule, il s’exprimait en wolof, était noir de peau et s’habillait la plupart du temps en blanc. Dans ses nombreuses pérégrinations, il a sillonné le Baol, le Djoloff, le Cayor, le Ndiambour, le Sine-Saloum et j’en passe, avant de faire l’objet d’une déportation par l’Administration coloniale vers la forêt inhospitalière de Mayumba (au Gabon) où il vécut près de 8 ans dans des conditions inhumaines. De retour en 1902 sur décision de la même Administration il sera déporté en Mauritanie de 1903 à 1907 avant d’être astreint à une résidence surveillée à Thiéyène Djoloff jusqu’en 1912, puis à Diourbel jusqu’en 1927, année de son rappel à Dieu. 

Au-delà de la communauté mouride, Cheikh Ahmadou Bamba s’impose par sa singularité dans notre pays et au sein du monde noir. Un célèbre chroniqueur a vu en lui un héros national dans une lettre ouverte au Président de la République du Sénégal. Il sera corrigé par d’autres observateurs qui considèrent le Cheikh comme un patrimoine mondial à faire pâlir d’envie bien des sociétés humaines. L’émoi général suscité par sa caricature dans le sinistre magazine Jeune Afrique au mois de janvier 2016 en est une parfaite illustration.

Malheureusement, en parcourant la vie de cet homme, nous avons l’étrange sentiment qu’il n’a de sénégalais que la couleur de peau, l’ascendance et le langage. Il semble avoir simplement vécu parmi nous sans que nous ayons pu mesurer la chance infinie qu’il représente et le modèle qu’il incarne dans tous les domaines de notre vie. En observant le Sénégal et les Sénégalais, il est légitime de se demander si Cheikh Ahmadou Bamba était réellement des nôtres.

La question revêt d’autant plus d’acuité qu’il n’est pas rare d’entendre des analystes de la société sénégalaise s’offusquer de l’absence de modèles pour les jeunes, de la perversion des mœurs, de l’absence généralisée d’ambition, bref d’une crise profonde des valeurs dont personne ne tiendrait encore le remède. Le constat est sans complaisance, mais à y être attentif, les maux dont souffre notre société sont le manque de rigueur, l’absence d’ambition collective, le défaut d’endurance dans l’effort, la malhonnêteté intellectuelle, l’irrespect, la méconnaissance de l’abnégation, la corruption, l’ignorance et j’en passe. De ce triste tableau procède un mieux-être dont nous sommes à la quête et qui semble nous échapper indéfiniment. Nombreux en effet sont les programmes dits de développement implémentés par des dirigeants, parfois ambitieux, qui se sont soldés par des échecs cuisants. Cette situation interroge non pas notre modèle économique, car nous n’en avons guère, mais l’état d’esprit des hommes et des femmes qui font aujourd’hui la société sénégalaise.

Au-delà de la dimension ésotérique insondable de Cheikh Ahmadou Bamba, nous devons interroger les qualités humaines dont il s’est armé pour ériger, en si peu de temps et en ayant vécu seulement 72 ans (dont 33 ans de captivité), un patrimoine aussi gigantesque que celui qu’il nous a légué. Parmi ces qualités indispensables figurent l’ambition, la rigueur, l’éthique, l’endurance et le goût du travail bien fait. A l’évidence, ces qualités ne caractérisent que timidement notre société en 2016.

Concentrons-nous d’abord sur l’éthique, cette notion naguère bien sénégalaise, rendue désuète depuis des lustres. Pourtant le brillant juge Kéba Mbaye, dans une leçon inaugurale de l’année académique 2005-2006 à l’UCAD, nous prévenait en ces termes : « Demandons-nous, chaque fois que nous sommes tentés d’avoir un comportement non éthique, ce que serait la vie si chacun faisait comme nous. Demandons-nous ce que serait une société de délateurs, de profiteurs, de voleurs, de corrupteurs et de corrompus, d’indisciplinés, d’insouciants, d’égoïstes et de fraudeurs. La liste est longue, mais la réponse est une : ce serait une société vouée à l’échec et peut-être à la déchéance et à la misère matérielle et intellectuelle. » Mesurons notre pays à l’aune de cette déclaration certes acerbe, mais oh combien pertinente. Sommes-nous un peuple d’hommes intègres, de disciplinés, de personnes soucieuses de l’avenir, de généreux, de rigoureux et de respectueux de notre prochain ? Il est certain que nous avons encore des efforts significatifs à déployer pour en arriver à ce niveau.

Cheikh Ahmadou Bamba est pourtant un de ceux dont le parcours nous suffit comme modèle, au-delà de nos convictions religieuses et partisanes. Que nous soyons Mourides, Tidianes, Khadres, Layène ou Chrétiens, sa vie demeure une mine de qualités humaines et de valeurs cardinales qui nous font tant défaut dans notre tortueuse marche vers le progrès.

En témoigne d’abord le degré de son ambition. Il en donnera la preuve quand le Prophète Mouhammad (PSL) lui apparut au cours d’une retraite spirituelle à Darou Khoudoss. Le Dernier Envoyé de Dieu était alors venu lui décerner le garde de pôle de son époque (Khutb) alors qu’il n’était âgé que de 39 ans et 8 mois. Rappelons que cette station était la plus convoitée par les engagés dans la voie du Seigneur. Cheikh Ahmadou Bamba remercia vivement le Prophète pour cette distinction, mais lui signifia dans la foulée que son unique ambition était de faire partie de ses illustres compagnons. Et le Prophète de lui répondre qu’un tel statut ne saurait être acquis que par le sang versé. Or la guerre sainte par les armes est révolue. En revanche, le sacrifice peut être remplacé par une somme d’épreuves pouvant conduire à la mort tant elles sont nombreuses et atroces. Suite à cette déclaration, en plus de son ambition débordante, le Cheikh fit montre d’une autre qualité : la détermination. En effet, il dira au Prophète : « je ne suis pas le créateur de mon âme pour savoir ce qu’elle peut supporter, mais si le Seigneur me prête vie, nul doute j’atteindrai mon objectif ». Tel fut le contrat conclu et qui a valu au Cheikh toutes les épreuves qui nous sont racontées sur la vie.

Je dois dire que c’est une détermination similaire qui a animé les 1 500 personnes qui se sont portées volontaires pour creuser le lit du chemin de fer Diourbel-Touba, long de 50 kilomètres dans une période de crise économique ardue (1929). L’Administration coloniale avait lancé ce défi à la communauté mouride tout en comptant sur son échec pour que la mosquée de Touba ne sorte jamais de terre. Mais alors que le délai fixé était de 7 ans, les équipes, sous la houlette de Cheikh Mouhammadoul Moustapha Mbacké, ont bouclé les travaux en seulement 2 ans. Cette action historique témoigne à suffisance du fait que rien n’est impossible à un peuple dès lors qu’il fait usage des redoutables armes de la foi, de l’union et de la détermination.  

La même détermination a caractérisé tous les fils connus et premiers disciples du Cheikh, dont la plupart, avant même d’atteindre l’âge de 20 ans, ont fondé une famille, érigé des centres d’enseignement et d’éducation, investi dans l’agriculture et fondé de multiples localités. Mame Cheikh Anta Mbacké, jeune frère de Serigne Touba, s’est vu confier le village de Darou Salam à l’âge de 17 ans en 1888 quand Khadimou Rassoul décida de fonder Touba. Son bras droit Mame Thierno Brahim avait la trentaine quand il érigea le village de Darou Mouhty – devenu une plateforme économique - dans des conditions particulièrement difficiles. Le regretté Cheikh Saliou Mbacké, dernier fils de Bamba sur terre, a fondé sa première Daara à Loumbel Kaël en 1932 alors qu’il n’avait que 17 ans. Dans les années 70, son frère Cheikh Mourtada mettra sur pied l’Institut Al-Azhar, qui constitue à ce jour le plus grand réseau scolaire privé du Sénégal, avec des centaines d’écoles disséminées dans tout le pays. L’enseignement est dispensé par des professeurs pris en charge sur fonds propres. Nombre de ces apprenants, issus de milieux modestes, sont inscrits gratuitement. Ce réseau profite aujourd’hui à plus de 70 000 élèves.

Dans cette brève énumération, nous ne saurions passer sous silence les réalisations pharaoniques de Cheikh Abdoul Ahad Mbacké, qui a marqué de manière indélébile l’histoire de notre pays, et les actions, dans un contexte économique autrement plus difficile, de Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké (1er khalife) et de Cheikh Mouhammadoul Fadel.

Le point commun des tous ces personnages est le fait qu’aucun d’entre eux n’a vécu plus de 95 ans. Pourtant, dans ce bref passage sur terre, ils ont laissé un héritage gigantesque, qui les rend ainsi éternels dans notre Histoire collective. Ils se sont armés d’au moins deux qualités fondamentales : la force de l’ambition et la détermination.

Malheureusement, au lieu d’en faire des modèles dans notre vie de tous les jours, nous avons érigé ces valeureux citoyens en objets de célébration en nous émerveillant de leurs prouesses. Nous préférons effacer de notre mémoire collective les efforts surhumains qu’ils ont déployés dans des conditions socio-économiques extraordinairement difficiles pour atteindre leurs objectifs. C’est à se demander si nous avons encore le cran, le courage, l’endurance, l’abnégation, la dignité et la détermination nécessaires à ces actions d’envergure. À l’évidence non ! Pire, nous n’essayons même pas, car nous les considérons comme hors de notre portée.

Non contents de ne pas suivre leur modèle, nous profanons ou laissons profaner leurs saintes mémoires en les invoquant dans des situations qu’ils abhorraient au plus haut point. Nous les citons en effet dans les soirées de gala où les filles et les garçons se mélangent dans une volupté et une luxure que la décence nous interdit d’évoquer ici. Il est malheureux de constater que les plus grands « ambianceurs » du pays se disent mourides, de même que les organisateurs des séances de «  battrer » ou l’argent coule honteusement à flots, dans un pays composé de 90 % de pauvres. C’est dans ce même pays que des chefs autoproclamés trônent à la tête de mouvements dits religieux qui n’excellent en réalité que dans l’ambiance mondaine, la luxure et la frivolité. C’est dans ce même pays où sont promus l’argent facile, la médiocrité, l’insulte publique au détriment du goût de l’effort, de la probité morale, de la sincérité, de l’intégrité, de l’honnêteté intellectuelle, de la dignité, du respect et tant d’autres valeurs chères aux sociétés évoluées. Ces qualités semblent devenues de sérieux handicaps dans notre pays. Ce pays dans lequel les modèles sont d’abord médiatiques, peu importe leur moralité.

Nous semblons oublier que les qualités humaines véhiculées par Cheikh Ahmadou Bamba et les siens sont celles qui doivent guider toute société éprise de mieux-être tant sur le plan économique, social que politique. Un célèbre islamologue disait : « les Occidents ont certes renoncé à la foi, mais ils ont conservé certaines qualités humaines fondamentales, incontournables pour le progrès ».

En réalité, la préoccupation première d’un être humain doit être de s’interroger sur le sens de sa vie sur terre et plus concrètement sur son territoire national. Cet auto-questionnement donne un aperçu sur le degré d’ambition d’un individu. Sommes-nous un peuple suffisamment ambitieux ? Il est permis d’en douter. Un proverbe wolof ne dit-il pas : « Njariñ loo fekké ». Une telle maxime enjoint l’individu à n’agir que s’il est certain de pouvoir profiter des fruits de son action. Prenant le contre-pied de cette curieuse assertion, Cheikh Ahmadou Bamba dira : « Si ce n’était pas pour les fils d’Adam, je ne passerais pas une seule nuit sur terre. N’abusez pas de ma condition d’homme noir pour ne pas profiter de moi […]» Et Sergine Bassirou Khelcom d’ajouter  : « Si l’ambition d’un être humain se limite au fait de manger, de boire, de satisfaire ses besoins et de construire un lieu d’habitation pour sa famille alors cette ambition ne dépasse pas celle d’un oiseau, car ce dernier observe le même comportement et a même l’ingéniosité de construire lui-même un nid pour loger ses oisillons ».

Il convient de préciser que l’ambition saine ne va pas sans la générosité, valeur également rare dans nos sociétés. Aucun peuple n’a relevé le défi du progrès en s’enfermant dans une somme d’égoïsmes. L’ambition de Cheikh Ahmadou Bamba n’a jamais pris le pas sur sa générosité. Le vers suivant en témoigne à suffisance : « Détenteur de la Royauté qui transcende la rancune, accorde Ta miséricorde à toutes créatures, Ô Guide protecteur ! » Malheureusement, chez nous, l’égoïsme est, en plus, teinté d’un manque d’éthique destructeur qui conduit les uns à chercher les moyens de duper les autres. Le fameux phénomène du « door marteau » en est une triste illustration.

Faute d’être ambitieux, déterminés et généreux, sommes-nous un peuple rigoureux ? On peut considérer, sans se tromper, que la première preuve de la rigueur chez un être humain est le respect du rendez-vous et de la parole donnée. Il n’est pas utile de nous attarder sur ce point, car nous sommes tous au fait du rapport spécial que nous avons avec le temps. Même dans les pays du Nord « l’heure sénégalaise » s’applique toujours entre nous. Pourtant il ne nous traverse jamais l’esprit d’arriver à un entretien d’embauche avec 1 heure de retard. Pour un peuple musulman à 95 %, cette attitude est plus que problématique, car le Prophète de l’Islam (PSL) nous a indiqué les trois caractéristiques d’un hypocrite dont l’une est le non-respect du rendez-vous.

En observant le décalage entre les agissements d’un grand nombre d’entre nous et les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba, il est permis de croire que nous sommes sans doute frappés d’un autre fléau du siècle : l’ignorance. Pourtant, s’il est admis que la culture provient en grande partie de la lecture, les Sénégalais auraient dû caracoler en tête dans ce domaine compte tenu de l’étendue inégalée des écrits laissés par Khadimou Rassoul. Il n’est pas rare d’entendre certains Mourides déclarer que les écrits du Cheikh ont atteint un poids équivalant à 7,5 tonnes. Ce chiffre – que personne ne saurait confirmer si ce n’est l’auteur lui-même – en est devenu un simple objet d’émerveillement. Nous faisons mine d’oublier que Cheikh Ahmadou Bamba a écrit dans tous les domaines de la vie en y consacrant des efforts immenses. Son occupation majeure sur terre a été l’écriture en dépit de sa privation de liberté durant 33 ans. Un ami m’a d’ailleurs surpris un jour en me disant que le Cheikh a même réalisé des poèmes sur la cuisine. C’est dire combien il avait le souci de notre mieux-être collectif.

Pourtant, dans un entretien accordé au Magazine Khidma en octobre 2014, le gestionnaire de la Bibliothèque de Touba se désolait du fait que le lieu est davantage fréquenté par des Occidentaux. Il ajoute que certains Américains, notamment, connaissent mieux le contenu de la Bibliothèque que la plupart des Sénégalais. Il apparait ainsi que nous nous contentons d’un vigoureux « Eskëy !» à chaque fois que le nom de « Daaray Kaamil » est prononcé en nous glorifiant d’être le seul pays au monde à disposer d’une maison dédiée au Coran. Nous semblons oublier que, quelle que soit son étendue, une science n’a d’utilité que pour un individu qui a la rigueur d’affronter ses subtilités au moyen d’un plan de recherche méthodique. Assurément Cheikh Abdoul Ahad Mbacké n’a pas investi des milliards de francs dans ce bijou pour qu’il reste une « merveille mouride », mais pour qu’il éveille les humains autant qu’ils sont. Dans son poème « Matlabul Fawzeyni », Khadimou Rassoul priait Dieu en ces termes : « Fais de ma demeure, la Cité bénite de Touba, une cité de perfectionnement et de redressement, un centre d’enseignement et d’instruction approfondie ». Tel était le seul sens de la démarche de Cheikh Abdoul Ahad. Rappelons que « Daaray Kaamil » comporte des ouvrages dans des domaines aussi divers que la Médecine, la Sociologie, la Géographie, le Droit, les Sciences politiques, l’Histoire, les Mathématiques, le Physique, la Chimie, la Littérature et j’en passe. Rares sont les Mourides qui le savent.

En observant notre pays, il apparait qu’au lieu de saisir ce trésor qu’aucun peuple connu ne détient, nous nous déclarons de la déclaration « Seriñ Tuuba amul moroom ! » quand nous ne nous considérons pas tout simplement comme le peuple élu de Dieu. Il est vrai que Cheikhoul Khadim est une créature à nulle autre pareille. Mais faisons-nous partie des peuples qui donnent l’exemple aux autres ? Nous en sommes très loin. À ce titre, on est fondé pour conclure, au moins provisoirement, que Cheikh Ahmadou Bamba n’était sans doute pas le Sénégalais que nous sommes devenus. Pourtant, « en bâtissant le Sénégal et les Sénégalais de nos rêves, Cheikh Ahmadou Bamba sera incontournable », estime Mamadou Sy Tounkara (Les Septs piliers du Mouridisme, Editions Majalis, p.44).

Auteur: Omar BA - Seneweb.com


16/05/2016
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Lettre ouverte d'un français d'origine sénégalaise à Nadine Morano

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Lettre ouverte d'un français d'origine sénégalaise à Nadine Morano

« La France est judéo-chrétienne et de race blanche », ai-je bien entendu ? Mme Morano, cette phrase est indigne d’une personne qui se dit vouloir représenter le peuple français. L’histoire de la France elle-même dément vos propos. J’y reviendrai.

En tant que personnalité politique, avez-vous dit, vous avez l’obligation d’agir avec la raison même si votre cœur peut aspirer à autre chose ? Ça tombe bien parce qu’en tant qu’universitaire, moi aussi, je me dois d’avoir une distance critique par rapport à moi-même, d’ignorer les aspirations de mon cœur, s’il le faut, pour faire une étude objective de l’objet de mon analyse. Et c’est ce que je vous propose en revenant sur vos déclarations ce week-end.

Avant d’entamer ma réflexion, je tiens à vous rappeler une chose : ces gens qui prennent les bateaux pour venir à l’Europe ont tout simplement le mauvais passeport et sont nés dans le mauvais pays. Tout citoyen français, et ça vous le savez très bien Madame, peut aller au Sénégal, au Maroc, et à beaucoup d’autres pays, quand il veut et sans avoir besoin d’un visas ni d’une quelconque autorisation de la part des autorités de son pays de destination. Arrêtez de crier « ils viennent, ils viennent » tout en essayant d’oublier les citoyens français qui partent chez les autres sans même leur demander leur avis parce qu’ils ont le bon passeport.

Madame la députée, même moi qui suis né dans un village, perdu quelque part au Sénégal, et qui ne compte que sept petites maisons (il s’agit de cases en vrai), je peux vous informer que c’est la station Totale qui vend du carburant à des milliers de chauffeurs sénégalais. Mais peut-être vous ne voyez pas ces autres français qui partent et qui exploitent les autres populations. Vous ne voyez que ceux qui viennent. Charmant l’humanisme !

Parlant d’exploitation, je vous rappelle une phrase que vous avez prononcée lors de votre passage chez Laurent Ruquier : « vous ne souhaitez pas revenir au Franc français ». Et c’est là où vous vous séparez effectivement de Marine Lepen. Mais savez-vous que 14 pays africains utilisent encore le Franc CFA que leur avait imposé le pouvoir colonialiste ? (Franc CFA voulait dire franc des colonies françaises d’Afrique). Si Madame, vous le savez très bien. Vous savez aussi que ces 14 pays sont obligés par la France , à travers le pacte colonial , de mettre 50% de leurs réserves à la banque centrale de France sous le contrôle du ministère des finances français. (Pour plus de précisions) ou encore. Cela fait des millions d’euros Madame qui n’appartiennent ni à la France ni au gouvernement que vous avez servi. Mais bon, tout cela vous importe peu.

Si je vous rappelle tout ça, bien que vous le sachiez déjà, c’est parce qu’effectivement il y a parmi « les réfugiés » des migrants économiques, venant notamment d’ l’Afrique de l’Ouest, qui tentent de fuir la misère, peut-être, avec l’espoir de récupérer les réserves qui leur appartiennent et qui se trouvent aujourd’hui sous le contrôle du ministère des finances. Et avant de revenir sur les réfugiés et sur votre fameuse phrase, gardez dans votre esprit que d’ici 30 ans, il y aura 2 milliards d’Africains sur cette planète, et la moitié de ces deux milliards aura moins de 18 ans. Et si vous ne les laissez pas tranquilles, de leur débarrasser du Franc CFA de la même façon que vous ne voulez plus du Franc français, croyez-moi Madame, il y aura là une vraie invasion de l’Europe.

Revenons à la problématique des réfugiés. Savez-vous que, selon les chiffres du Haut-commissariat aux réfugiés, depuis 2011 la Turquie a accueilli plus de 1.900.000 syriens, et le Liban plus de 1.000.000 soit 25% de la population libanaise ? À côté de ces chiffres, savez-vous que les 477906 qui ont traversé la méditerranée représentent seulement 0.1% de la population européenne ? C’est ça que vous appelez un envahissement ?

Madame Morano, vous confondez tout. Comment avez-vous réussi à faire un lien entre le terrorisme et la migration ? Entre le voile intégral et Charlie Hebdo ? « J’avais vu une femme en voile intégral et quelques jours plus tard ça a éclaté à Charlie Hebdo », avez-vous dit ? Quel est le lien Madame ? Rassurez-moi que vous allez très bien. Sinon allez voir un médecin.  Promis, ça vous fera du bien ;)

Moi aussi je peux vous parler des centaines de Charlie Hebdo. Je ne vous parlerai ni de Sétif, ni du bombardement de Haiphong en décembre 1946, ni des massacres en Côte d’ivoire entre 1949 et 1950 (mais vous pouvez vous référer à l’ouvrage de Yves Benoît, Massacres coloniaux.). Non madame, je vais vous parler d’un petit fait divers que vous pourrez lire à la page 77 de l’ouvrage de Benoît que je viens de citer : « Il s’agissait là de tirailleurs sénégalais libérés des camps de prisonniers de guerre allemands, et démobilisés. Débarqués le 21 novembre à Dakar, ils avaient été rassemblés au camp de Thiaroye, à quelques kilomètres de la capitale. Mais ils attendaient de recevoir les arriérés de leur solde et de pouvoir échanger leurs marks. En France, malgré leurs réclamations, on leur a refusé sous divers prétextes [...] C’en était trop. Les tirailleurs protestèrent, manifestèrent sans doute. Aussitôt l’armée française intervint et ouvrit le feu. Combien de morts ? 25, 30, 60, ou plus ? En tout cas, encore un massacre, aisé de surplus puisque les tirailleurs n’avaient pas d’armes »

Si je vous fais part de cette petite histoire, ce n’est pas pour banaliser le drame qu’a connu Charlie Hebdo. Mais je tenais juste à vous dire que de la même façon qu’aucun descendant des tirailleurs ne fait d’amalgame entre le peuple français et l’armée qui a massacré leurs ancêtres, ayez cette même intelligence et arrêtez de perpétuer votre amalgame insupportable.

Encore pour vous en prendre aux musulmans, vous avez posé cette question à Yann. Moix : « savez-vous le nombre de personnes qui ont peur d’aller à la synagogue ? » Des chiffres Madame. On veut des chiffres. Et d’ailleurs, en tant qu’universitaire, je ne saurais supporter l’exploitation politique de la question juive, comme vous avez l’habitude de le faire, pour diviser les citoyens français. Madame, ceux qui ont le plus massacré les juifs ne sont pas des musulmans. Je ne vous apprends pas l’histoire. Et encore une fois en tant qu’universitaire, et ce n’est pas pour banaliser la souffrance du peuple juif, je me dois de rappeler certaines choses. Non il y a mieux : je vais donner la parole à un de mes maîtres, Aimé Césaire : « Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle, qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler et son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique. (Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 2004, pp.13-14.) »

Revenons à la fameuse phrase. La France est judéo-chrétienne, dites-vous ? Certes l’islam est une religion importée en France, je vous l’accorde. Mais qu’en est-il du christianisme ? Du Judaïsme ? Je viens de voir la carte d’identité de Jésus, et figurez-vous : IL N’EST PAS NÉ Â PARIS. Zut, Moïse non plus. Ni le Bouddha d’ailleurs. Conclusion ? Toutes les religions que vous avez mentionnées sont des pures importations. Je dis ça et je ne dis rien.

Mais ne soyez pas ingrate Madame. S’il y a une chose à laquelle peut s’identifier toute la nation c’est bien la langue française. Mais vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a énormément de mots français qui viennent de la langue arabe. Exemples ? Café, sofa, limonade, gazelle, l’algèbre (et la science d’algèbre d’ailleurs), etc. Oups, j’allais oublier : quand vous prenez votre portable pour textoter ou votre ordinateur pour écrire un mail, n’oubliez pas que vous utilisez des chiffres arabes. Peut-être la race française est une race blanche, comme vous dites, mais cette belle langue que vous parlez, les chiffres que vous utilisez ont d’autres gènes dans leurs veines.

La France est de race blanche avez-vous dit ? Ne vous inquiétez pas Madame, je vous rassure, on a déjà entendu pire. Jules Ferry ne disait-il pas un (28 juillet 1885 ce qui suit ? « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures.  Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l’histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de race supérieure. Mais de nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation. »

Vous ne pouvez pas nous faire peur Madame, on a déjà connu et entendu pire. Mais je vous rappelle une chose : « Il n’y a pas en France dix familles qui puissent fournir la preuve d’une origine franque, et encore une telle preuve serait-elle essentiellement défectueuse, par suite de mille croissements inconnus qui peuvent déranger tous les systèmes des généalogies. »

Ce ne sont pas mes propos Madame Morano, ce sont les mots d’Ernest Renan (Qu’est qu’une nation ?, Mille et une nuits, 1997, p.15.). D’ailleurs pour lui : « Autant le principe des nations est juste et légitime, autant celui du droit primordial des races est étroit et plein de danger pour le véritable progrès. (p.19) » La raison est que, toujours selon Renan : « Il n y’a pas de race pure et que faire reposer la politique sur l’analyse ethnographique, c’est la faire porter sur une chimère. Les plus nobles pays, toujours selon lui, l’Angleterre, la France, l’Italie (un avis que je ne partage évidemment pas), sont ceux où le sang est le plus mêlé. (p.21) »

Pour conclure Madame la députée, je sais que vous tenez beaucoup à l’Europe et aux institutions européennes. Mais n’oubliez pas qu’aimer l’Europe c’est respecter, au moins, la Convention européenne des droits de l’Homme, y compris l’article IX  selon lequel : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (dont les musulmans) ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public (et oui Madame, le voile dans l’espace public est garanti par la Convention) ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »

Madame la candidate à la prochaine primaire des « Républicains » pour l’élection présidentielle, je sais que vous aimez la France et que vous voulez la servir. Mais n’oubliez pas qu’aimer la France c’est au moins respecter sa constitution dont l’article I stipule que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion (alors pas de judéo-chrétien ni de race blanche :) Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »

Madame Morano, cette lette vous vient de la part d’un jeune universitaire musulman, qui a le même passeport que vous, la même carte d’identité que vous, qui parle la même langue que vous et vit dans le même pays que vous. Sauf qu’il y a un bémol : Il ne fait pas partie de la race blanche. Fait-il partie, malgré ça, de la communauté nationale ?

Sur ce, Madame Morano, je vous souhaite un bon éveil humain !

Seydi Diamil NIANE

 

Doctorant en islamologie à l’Université de Strasbourg

 


29/09/2015
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L’Afrique et les nombres premiers

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Marcus du Sautoy dit ceci : « Les nombres premiers sont les atomes même de l'arithmétique. Ce sont les nombres indivisibles, qu'il est impossible de décomposer sous la forme d'une multiplication de deux nombres plus petits. 13 et 17 sont des nombres premiers, ce qui n'est pas le cas de 15, que l'on peut également écrire en tant que 3 fois 5. Ils sont les pierres précieuses enchâssées dans l'immense étendue de l'univers infini des nombres, que les mathématiciens explorent depuis des siècles. Ils sont pour eux une source d'émerveillement : 2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, 23... Nombres hors du temps qui existent dans un monde indépendant de notre réalité physique. Pour le mathématicien, ils sont un don de la Nature ».

C’est avec Euclide d'Alexandrie (-320/-260) avant notre ère, que les théories sur les nombres premiers se mettent en place. Dans « Les éléments » (livres VII, VIII, IX), il donne des définitions, des propriétés et démontre certaines affirmations du passé, comme l’existence d’une infinité de nombres premiers.

« Les nombres premiers sont en quantité plus grande que toute quantité proposée de nombres premiers ».

Il présente aussi la décomposition en facteurs premiers liée à la notion de PGCD. Découvert le 25 janvier 2013, le plus grand nombre premier connu est le nombre premier de Mersenne « 2 puissance 257 885 161 – 1 », qui comporte 17 425 170 chiffres en écriture décimale. On le doit à l'équipe de Curtis Cooper, à l'université du Central Missouri, dans le cadre de la grande chasse aux nombres premiers de Mersenne (GIMPS). Écrits les uns à la suite des autres, ses chiffres occuperaient plus de 4 000 pages en police Times New Roman taille 12.

Il se trouve que les plus anciennes traces des nombres premiers ont été trouvées près du lac Edouard au Zaïre sur un os de plus de 20000 ans avant notre ère. L’os d’Ishango était recouvert d’entailles marquant les nombres premiers 11, 13, 17 et 19, ébauche d’une table des nombres premiers.

Les entailles retrouvées sur l’os d'Ishango ont été mises au jour par l'archéologue Jean de Heinzelin de Braucourt et sont antérieures à l'apparition de l'écriture (3 200 ans avant J.-C.). Certains archéologues, qui admettent que l’Afrique avait une civilisation, l'interprètent comme la preuve de la connaissance des nombres premiers dans le continent noir.

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22/08/2015
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Afrique: Dévaluation du Franc CFA ! A qui profite le crime ?

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Afrique: Dévaluation du Franc CFA ! A qui profite le crime ?

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Écrit par Amadou DIALLO     

« J'aime la vérité. Je crois que l'humanité en a besoin ; mais elle a bien plus grand besoin encore du mensonge qui la flatte, la console, lui donne des espérances infinies. Sans le mensonge, elle périrait de désespoir et d'ennui ».  Anatole France. Partout dans la Zone Euro on ne parle que de crise, mais celle-ci semble occulter la situation qui se pose dans les pays de la Zone Franc. Cependant elle suscite de nombreux remous dans les pays africains de cette zone sans toutefois provoquer de crise majeure parmi les pays-membres. Ces pays se sont ceux qui ont en commun le franc CFA, lié à la monnaie unique européenne l’Euro par une parité fixe comme ce fut le cas avec le Franc Français.

Dans les milieux « autorisés » de la Françafrique, on apprend que Nicolas Sarkozy doit en partie sa victoire présidentielle grâce à l’argent des Africains qu’il méprise et il veut, semble-t-il la dévaluation du franc CFA selon des rumeurs persistantes. Avec la nouvelle révélation sur le financement de sa campagne présidentielle par Omar Bongo dans un livre paru le jeudi 24 novembre 2011: « Le scandale des biens mal acquis », on comprend pourquoi les dossiers judiciaires sur les biens mal acquis n’aboutissent jamais en France.

C’est Mike Jocktane, ancien conseiller de feu Omar Bongo qui accuse Nicolas Sarkozy d’avoir bénéficié des mallettes et des fonds occultes de la Françafrique. Du coup, les salmigondis et les tergiversations de Robert Bourgi ressemblent étrangement au nuage de Tchernobyl qui s’était arrêté aux frontières de la France de même que les mallettes bourrées d’argent, avec l’avènement du président Sarkozy, ont été refoulées aux frontières françaises. Oui ! Tous corrompus ! Mais, au détriment de qui ? De l’Afrique, ce pauvre continent tant détesté par les responsables français et les dirigeants africains eux-mêmes !

Ainsi avec les rumeurs persistantes de dévaluation du Franc CFA, avec la complicité des dirigeants africains, ces vassaux des anciens colonisateurs, le Franc CFA sera certainement dévalué le 1er janvier 2012 pour le grand malheur de l’Afrique subsaharienne francophone et au seul bénéfice de la France. Considérant que son baromètre et/ou son arrimage se mesure à l’euro, ça veut dire que, demain le premier décembre 2012, 1 euro correspondra à 1000 francs CFA au lieu de 655,59 FCFA. C’est cet autre Alassane Ouattara, qui en 1994 comme premier ministre de la Côte d’Ivoire, avait monté la dévaluation avec son souteneur et ami Sarkozy ministre du budget et supprimé les accompagnements sociaux qui devaient atténuer la souffrance des populations locales.

Si l’information est confirmée, alors que la dévaluation du franc CFA, en 1994, a fait naître l’espoir de voir les principales filières commerciales boostées, ce fut le contraire qui s’est malheureusement produit. Et par conséquent, ce sont les populations, en premier, qui pâtiront de cet effet. La dialectique selon laquelle la parité fixe entre le franc CFA et l’Euro est avantageuse pour les États de la zone CFA, avec notamment la maîtrise de l’inflation et la stabilité macroéconomique est mensongère que ça soit en 1994 comme en 2012. Tous les économistes, après différents calculs, savent qu’une dévaluation de 20% entraine ipso facto une augmentation des prix de plus de 3%.

C’est pour cela cette possible dévaluation me paraît être un crime économique ; car si en 1994, les pays de la Zone Franc étaient dans le plein marasme économique à cause des ajustements structurels imposés par le FMI plus une baisse du Franc Français entrainant une surévaluation du Franc CFA, les données sont complètement différentes aujourd’hui. L’euro sur lequel le Franc CFA est arrimé est une monnaie forte par rapport aux devises étrangères et la croissance des économies des pays de la Zone Franc varie de 3 à 7%.

Ainsi, on peut dès lors se demander pourquoi une nouvelle dévaluation du Franc CFA et à qui profite le crime ? On peut s’en douter, cette mesure de dévaluation du Franc CFA est la conséquence de la grave crise que traverse en ce moment l’Europe et l’Euro et que seule, l’Allemagne supporte à travers la rigueur dans la gestion de son économie. C’est donc la Chancelière allemande, Angela Merkel, qui, selon des sources concordantes, a demandé à son homologue français, Nicolas Sarkozy, de mettre de l’ordre dans les ex-colonies françaises de la Zone Franc avant qu’il ne soit tard.

Mais si l’on regarde bien le schéma, il ne s’agit pas, à travers cette mise en garde de Mme Merkel, de sauver les économies des pays de la zone FCFA. Il s’agit bien d’aider la France à éviter de sombrer, ce qui pourrait plomber la Zone Euro, l’Allemagne ne pouvant plus à elle seule financer les déficits de cette zone, après les déboires des économies grecques, espagnoles, portugaises etc.…Il s’agit tout simplement pour les pays de la Zone Franc de sauver la Zone Euro des errements de leurs dirigeants. N’est-ce pas le monde à l’enfer, alors même que des pays émergents comme la Chine ou l’Afrique du Sud sont venus à la rescousse de cette histoire de charrue avant les bœufs et de spéculateurs. Encore une fois de plus l’Afrique devra payer.

Mais qu’est-ce que la dévaluation du FCFA peut bien apporter à la France au plan financier et budgétaire ? Beaucoup, beaucoup trop même nous y reviendrons au cours de notre développement. Au travers de la guerre militaire qu’elle a menée ouvertement en Côte d’Ivoire pour renverser Laurent Gbagbo, la France a réussi à mettre sous silence, tous les nationalistes, « patriotismes » et autres souverainistes dont le fondement de la politique est de redonner à l’Afrique, toute sa dignité et sa respectabilité. Le mérite de Gbagbo a été de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas avec des méthodes non appropriées de refus de la volonté populaire. Je n’y reviendrai pas.

Cette nouvelle indépendance, après plus de cinquante années de relations économiques avec la France et l’Europe devrait lui permettre de diversifier ses relations commerciales et politiques avec le reste du monde et non plus seulement avec l’ancienne puissance coloniale. Le cas de la Côte d’Ivoire est édifiant à cet égard. Aujourd’hui, tout semble dire que les accords de 1961, lendemain des indépendances, ont été réveillés. Les sociétés françaises ont récupéré tous les marchés. Bouygues est présent partout et il ne serait pas surprenant que, pour acheter désormais sur le marché mondial, l’Etat de Côte d’Ivoire passe forcément par l’Etat français par le billet de la Zone Franc.

En d’autres termes, c’est en France que nous allons désormais acheter tout. Et comme tout cela se fait en devise c’est-à-dire l’Euro, nous allons dépenser beaucoup de CFA pour obtenir peu de produits. Ce qui arrangerait vraiment la France si l’on tient compte de l’ensemble des pays de la Zone CFA qui vont acheter sur le marché français ou qui vont être obligés de faire transiter leurs marchandises par les ports et aéroports français. Si l’on ajoute à cela l’exploitation honteuse de nos ressources à laquelle se livre en toute impunité la France, on peut dire que le pari est gagné pour Paris de trouver les milliards d’euro qu’elle cherche partout pour combler son déficit. De l’avis d’un expert, les pays africains vont contribuer, avec cette mesure, pour 40% de leurs avoirs, au colmatage du déficit français.

Comme en janvier 1994, lors de la première dévaluation, les pays africains qui font la manche recevront encore beaucoup d’argent des pays européens. Puisqu’il leur suffit de dégager 1 million d’euro pour que cela se transforme en 1milliard de FCFA. Parions que les hagiographes des différents palais présidentiels chanteront à l’unisson la fameuse chanson qui ne leur réussit pourtant pas : «Pluie de milliards !!!». Oubliant que cet argent est à rembourser non seulement avec des intérêts mais en devise. Conséquence, la dette des pays africains toujours sous la coupole de Paris va s’accroître de façon vertigineuse. Sacrifiant ainsi les futures générations africaines qui, une fois aux affaires, passeront la majeure partie de leur temps à rembourser des dettes. Ainsi le tour est joué et au comble du désespoir l’Afrique de la Zone Franc tombe dans le piège de la dévaluation.

Il se trouve qu’à elle seule, la Côte d’Ivoire conforte en permanence l’état excédentaire des comptes d’opération des pays de l’UEMOA ouverts auprès du Trésor français, condition de base de la garantie de la France au franc CFA. Ce pays a une capacité de plus de 40% sur la manne financière de la zone Franc CFA. Ce pays, tout seul, semble garantir les autres membres de la Zone Franc. La guerre est passée par là et cette capacité de financements est remise en cause et la France ne voudra jamais se substituer, même si il n’y avait pas la pression allemande.

Toutes choses qui font dire que la stabilité économique de la Côte d’Ivoire est nécessaire à la bonne santé financière de l’UEMOA, mais aussi de toute la Zone Franc qui, en réalité, n’intéresse la France que lorsqu’elle est excédentaire pour spéculer sur les avoirs des pays de la Zone Franc. Si dévaluation a lieu le premier janvier 2012, les pays membres de la Zone CFA n’ont pas fini de souffrir. Cette fois, ils vont boire le noir jusqu’à la lie. Si rien ne vient entre temps changer la donne, dès le 1er janvier 2012, c’est-à-dire dans quelque jours, le FCFA sera dévalué de nouveau. La parité fixe qui jusque-là était de 1 euro pour 655,59 FCFA, passera à 1 euro pour 1000FCFA.

Selon un diplomate européen, c’est pour apporter cette information aux chefs d’Etat de l’Uemoa qu’Alassane Dramane Ouattara a fait le tour de la sous-région en novembre 2011. Il a été mandaté, selon le diplomate, par le président français Nicolas Sarkozy. « En Afrique centrale, c’est à Denis Sassou Nguesso que la mission a été confiée d’informer ses homologues de la CEMAC mais aussi des Comores », ajoute toujours le diplomate qui semble être bien informé. D’ailleurs, il assure que Sarkozy, compte tenu des problèmes que le Président sénégalais rencontre actuellement et surtout à cause de sa grande susceptibilité, a tenu à parler personnellement à Abdoulaye Wade, lequel devrait informer son petit voisin Bissau-guinéen.

Depuis qu’Ouattara est parvenu au pouvoir, les prix des produits alimentaires de première nécessité ne font qu’augmenter à la vitesse exponentielle d’ailleurs pour tous les pays de la Zone Franc. A partir du 1er janvier 2012, ça va être plus grave pour tous ces pays, comme je l’ai déjà dit cela entraînerait une augmentation des prix de de 3 à 4%.

La dévaluation ne peut  être rentable que si les pays de la Zone CFA exportent beaucoup et beaucoup. Mais comme tout le monde le sait, tous les pays de l’espace francophone importent presque tout : produits manufacturés, riz, bois, poisson, denrées de première nécessité etc. Compte tenu de leur croissance, de l’accroissement de leurs populations ils ont besoin d’importer d’avantage de produits, et à partir du mois de janvier 2012 si les dirigeants africains de la Zone ne font rien, ça sera 1000 FCFA pour un euro.

Au moment de servir le marché intérieur, les commerçants revendeurs devront tenir compte de cette nouvelle parité fixe. Les prix vont donc gonfler et les populations devront s’arracher la peau pour arriver à financer un seul repas quotidien! Le prix du carburant va suivre la flèche dans le sens vertical, le transport n’en parlons pas pour les pauvres sénégalais de la banlieue qui doivent chaque matin remplir les rues de Dakar à la recherche du repas quotidien. Et on n’y pourra rien. Malheur aux pauvres populations africaines victimes de spéculateurs et de l’incompétence de leurs dirigeants.

Ceci est la conséquence des économies extraverties du Continent africain. La plupart des pays du continent n’ont pas encore réussi à tirer un avantage significatif des débouchés commerciaux découlant de l’expansion des marchés et des régimes préférentiels. Ne pas pouvoir transformer sa propre production en produit manufacturier implique l’importation plus que l’exportation et par conséquent, l’Afrique est obligée d’acheter les produits de l’extérieur. Avec une dévaluation, les milliards de francs CFA qui viendront en Europe, permettront à la Zone Euro, très chahutée en ce moment, de pouvoir s’en sortir.

C’est pour ces faits qu’il faut préciser ou repréciser que, les pays africains ne sont pas indépendants, nonobstant bien évidemment certaines tentatives de dirigeants, qui, par peur de perdre leur pouvoir se découvrent comme par enchantement panafricanistes, qui, pour contenter sa population annoncent qu’il faut battre sa propre monnaie. Autant d’exemples ridicules sans véritable volonté politique qui ne sont que des effets d’annonce sans réelle signification. Il apparait aujourd’hui, plus que toujours le salut de l’Afrique est de battre une monnaie commune entre les pays de la Zone Franc après une harmonisation des politiques économiques.

Ainsi donc, pour éviter le naufrage de la France, il faut organiser celui de l’Afrique ? Alors que les Africains ne sont pas à l’origine de la chute probable de la France avec notamment la perte annoncée de son « triple A » résultant de la mauvaise gestion de ses autorités, ce sont les plus faibles, en l’occurrence les Africains, qui doivent trinquer et venir à la rescousse. Ce constat amer fait qu’il est plus que jamais urgent pour les pays africains sous le joug français, de s’unir et de quitter la Zone CFA. C’est une évidence sinon une urgence. Le mensonge a une fin pour laisser place à la vérité.

Les Failles du système.

Comment expliquer la non-interchangeabilité du franc CFA de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale « Cemac » et celui de l’Union économique et monétaire ouest-africaine « UEMOA » ? Or, d’un pays à l’autre, l’euro circule, à part en Angleterre qui a conservé sa Livre sterling « £ ». Autrement dit : il est impossible de partir d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, à Yaoundé, au Cameroun, avec ses francs CFA émis par la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest « BCEAO ». Quelle incongruité.

« Quand l'euro baisse, c'est bon pour la Zone franc, surtout pour les exportations, estime Jean-Michel Severino, le directeur général sortant de l'Agence française de développement (AFD). Les pays-membres ont intérêt à rester rattachés à la zone euro tant que cette monnaie est  faible, souligne-t-il, car ils ont des échanges extrêmement importants en dollars et en euros ».

Et de préciser à l’agence MFI que le groupe CFA a une particularité que n'a pas la zone euro : la part des échanges dans le PIB est beaucoup plus importante, d'autant plus que d'une manière générale les pays africains ont tendance à importer en euros et à exporter en dollars.

Des « gens souhaitent que le CFA flotte librement ».

Jean-Michel Severino n'est toutefois pas contre un assouplissement des taux de change « pour donner des possibilités d'adaptation et de fluctuation beaucoup plus rapprochées que les dévaluations ou réévaluations qui doivent régulièrement se faire ». Et d’ajouter : « actuellement, le CFA fluctue contre toutes les monnaies du monde sauf l'euro... Il y aurait un sens, au moins pour une période intermédiaire assez longue, à avoir une monnaie dont la parité est fixée contre un panier de monnaies, ce qui permettrait d'amortir les chocs ». Il admet que des « gens souhaitent que le CFA flotte librement »… mais que le sujet n'est pas véritablement à l'ordre du jour.

Les ministres des Finances des pays de la Zone franc, qui se réunissent deux fois par an, alternativement en France et en Afrique, n’ont pas pu tenir leur dernière réunion, prévue au Tchad… annulée en raison des cendres émises dans l'atmosphère par le volcan islandais qui a bloqué le trafic aérien. Pour mémoire,  la Zone franc regroupe 14 pays d'Afrique sub-saharienne, les Comores et la France. Les francs CFA et comorien ont été ancrés au franc français avant de l'être auprès de l'euro. Les banques centrales des pays d'Afrique de l'Ouest et centrale ainsi que des Comores, membres de la Zone, disposent de comptes d'opérations garantis par le Trésor français.

Des réserves estimées à 5 000 milliards de francs CFA.

Des dirigeants et analystes africains ont périodiquement critiqué la dévaluation du CFA dans les années 1990 - qui a toutefois permis de juguler l'inflation -, et ont mis en cause le fonctionnement même de la Zone franc. La coopération monétaire entre la France et les pays africains de la Zone franc est régie par quatre principes fondamentaux : garantie de convertibilité illimitée du Trésor français ; fixité des parités ; libre « transférabilité » et centralisation des réserves de change. En contrepartie de cette garantie, les trois banques centrales sont tenues de déposer une partie de leurs réserves de change auprès du Trésor français sur leurs comptes d'opérations.

Ainsi, le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a récemment posé le problème de la garantie par la France du CFA, en particulier la gestion par le Trésor français des avoirs en devises étrangères des pays de la Zone franc. Il s'est dit préoccupé par le fait que des réserves estimées à 5 000 milliards de francs CFA se trouvent dans les places boursières internationales alors que les pays-membres peinent à trouver des financements. Ce même Abdoulaye avait considéré le FCFA comme une monnaie de singe, et depuis qu’il est au pouvoir il n’a mené aucune démarche dans le sens de l’indépendance financière des pays de la Zone.

« C’est aux États concernés de prendre leurs responsabilités ».

Réagissant à ces critiques, l’ancienne ministre française de l'Economie et des Finances, Christine Lagarde, a répliqué que la France permet au franc CFA d'avoir une convertibilité, et surtout une stabilité. Dans une interview à l'hebdomadaire Jeune Afrique, elle a ainsi estimé qu’il appartient aux pays de la Zone franc de prendre leurs responsabilités pour renoncer à la garantie de leur monnaie par le Trésor français : « Ce n’est pas à la France de déterminer si le système actuel est approprié ou non. S’il faut en sortir ou pas. Cette époque est révolue. C’est aux États concernés de prendre leurs responsabilités ».

Et pour Jean Michel Severino : « On est encore à des kilomètres avant de parler d'un décrochage, malgré les déclarations et les critiques. (…) D'autant plus qu'il est très difficile de se mettre d'accord à 14 ».

Certains analystes sont aussi favorables à des taux de change différents entre la zone d'Afrique centrale, riche en pétrole, qui se porte relativement bien, et celle d'Afrique de l'Ouest, plus fragile. Des pays de l’Afrique de l’Ouest, censés être des moteurs de la Zone franc, par leur dynamisme économique, ont connu des difficultés politiques et la mauvaise gouvernance financière, qui font que l’environnement monétaire s’est considérablement dégradé.

Le passage à une monnaie africaine ne peut donc se faire sans l’assainissement des économies de la zone monétaire, soulignent des experts partisans d’une monnaie africaine qui reposerait sur les matières premières dont regorge le continent.

Cinq pays de l’Afrique de l’Ouest non membres de la Zone franc, le Nigeria, le Ghana, la Sierra Leone, la Gambie et la Guinée, ont annoncé leur intention de créer une monnaie commune, l'Eco. Mais sa mise en circulation prévue à l'origine en 2009 a été reportée à 2015.

L’Eco entre dans le cadre du projet de création d’une monnaie unique commune aux 15 pays-membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ce projet est toutefois jugé irréalisable par certains experts internationaux qui ne voient pas comment les pays de la Zone franc, même membres de la CEDEAO, pourraient avoir deux monnaies ; d’où l’obligation pour les pays de la Zone Franc de créer une monnaie commune aux deux zones. Cependant, à trop vouloir nier la réalité, elle finit par se venger.

 

NB/ Cet article je l’avais publié il y a plus de deux ans et à chaque fois que l’Euro baisse ou fluctue on pense à dévaluer le franc CFA. Merci de bien méditer sur les conséquences. Nos économies sont-elles prêtes pour une nouvelle dévaluation ?

 

Amadou DIALLO


22/08/2015
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