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Fête de l’indépendance du Sénégal : Appel pour l’unité africaine !

Fête de l’indépendance du Sénégal : Appel pour l’unité africaine !

 

Le Sénégal fête en ce jour la fête de l’indépendance nationale acquise en 1960 avec le Mali et d’autres pays du continent noir. C’est le lieu ici de souhaiter à tous une bonne et heureuse fête nationale, c’est aussi le lieu de demander aux sénégalais d’œuvrer pour l’unité africaine.

Cette unité africaine passera sans nul doute par la réconciliation entre le Sénégal et le Mali. Ces deux pays ont eu l’indépendance en même temps et inédit dans l’histoire mondiale les deux pays ont aussi la même devise : un peuple, un but, une foi ; les mêmes couleurs nationales : (vert, jaune et rouge) sans oublier la même monnaie.

Aussi, les mêmes populations se retrouvent entre les deux frontières qui apparaissent mêmes presque inexistantes. A l’indépendance ces deux pays ont obtenu l’indépendance dans le cadre de la Fédération du Mali. Le divorce a eu lieu suite à la volonté inavouée de l’ancien colonisateur qui a œuvré dans le cadre de diviser pour mieux régner.

Aujourd’hui tout le monde est convaincu que l’Afrique ne pourra atteindre l’émergence sans l’unité africaine. Ainsi pour arriver à cette fin un petit rappel historique est nécessaire pour comprendre les raisons qui ont servi à la dislocation de la fédération du Mali. Certainement que les erreurs du passé permettront de partir sur de nouvelles bases pour l’avènement d’une nouvelle Afrique unifiée.

A la fin des années cinquante le débat sur le fédéralisme suscitait de profonds antagonismes au sein de la classe politique africaine.

Quatre pays vont décider de réagir à l'émiettement de l'Afrique francophone : le Soudan, le Sénégal, la Haute-Volta et le Dahomey. En recevant les représentants de ces pays à Bamako, les 29 et 30 décembre 1958, Modibo Keita, (inspirateur du projet), réalisait un rêve : jeter les bases d'une unité africaine. Quelques semaines plus tard, le 17 janvier 1959, à Dakar, les quatre délégations se mirent d'accord sur un projet de constitution. Mais sous les pressions convergentes de la France et du président ivoirien, Félix Houphouët Boigny, le Dahomey et la Haute-Volta vont se retirer. L'union est alors réduite à un tête-à-tête sénégalo-soudanaise.

Le 4 avril 1959, les députés choisissent Léopold Sédar Senghor, comme président de l'assemblée, et élisent Modibo Keita, comme chef du gouvernement fédéral. Ainsi malgré les spéculations des pourfendeurs de la date du 4 Avril, on peut retenir à juste titre cette date comme fête nationale au Sénégal.

L’élection du chef de l’État était prévue pour le 27 août 1960, mais la fédération ne vivra pas jusqu'à cette date : elle éclatera le 20 août 1960.

A)     Les dirigeants soudanais et sénégalais de la fédération du Mali

Pendant sa courte vie, la fédération du Mali sera donc dirigée par Modibo Keita, président du conseil et chef du gouvernement.

Le gouvernement fédéral comprenait alors, 8 membres principaux : 4 sénégalais et 4 Soudanais :

LES MEMBRES DU GOUVERNEMENT FEDERAL :

Président du Conseil - Chef du Gouvernement  Modibo Keita (Soudan)

Vice-président - Ministre de la Défense Mamadou Dia (Sénégal)

Ministre de la Justice Boubacar Guèye (Sénégal)

Ministre de l'Information et de la Sécurité Tidiani Traoré (Soudan)

Ministre de la Fonction publique Ousmane Bâ (Soudan)

Ministre des Finances Doudou Thiam (Sénégal)

Ministre des Travaux publics Amadou Mamadou Aw (Soudan)

Ministre de l'Education et de la Santé Abdoulaye  Fofana (Sénégal)

A noter que Léopold Sédar Senghor qui présidait l'assemblée, ne figurait pas dans le gouvernement.

La fédération du Mali était née. Mais le Mali, comme on aimait à le dire, était (dans un premier temps) "ignoré" par le général De Gaulle, qui disait :

« La république du Soudan, je connais ; la république du Sénégal, je connais, la Fédération du Mali, je ne connais pas. »

 Ainsi, le nouvel Etat avait du mal à trouver sa place au sein de la "communauté".

http://modibokeita.free.fr/federation.html

Une situation qui va vite évoluer : Le 15 mai 1959, De Gaulle reçoit Modibo Keita et lui annonce qu’il accepte de reconnaître l’existence de la Fédération du Mali au sein de la Communauté.

L’indépendance de la Fédération sera proclamée le 20 juin 1960, à l'issue des négociations.

B)    Un rêve panafricaniste

La fédération ne durera pas longtemps : 506 jours dont 2 mois seulement, de réel exercice. Elle éclatera dans la nuit du 19 au 20 août 1960 sans avoir pu élire son président.

A qui la faute ? Aux Sénégalais ? Aux Soudanais ? Aux Français ?

Quoi qu'il en soit, réduire les causes de cet éclatement, exclusivement, à des querelles de personnes ne correspond pas à la réalité.

Il est vrai qu’à priori, entre celui qui était considéré comme « le plus africain des soudanais » et celui que Christian Roche désigna comme « le plus européen des africains », la collaboration ne s'annonçait pas forcement simple.

Modibo Keita et Léopold Sédar Senghor qui se connaissaient depuis 1946, sont deux hommes que tout séparait :

 Le premier, Modibo Keita, syndicaliste expérimenté, exprimait avec force la fierté et les valeurs propres à la personnalité africaine. C'était un homme de principe, peu enclin aux compromissions.

 Le second, Léopold Sédar Senghor, rompu aux subtilités de la IVe République, doté d'une culture encyclopédique avait un penchant pour les " compromis dynamiques ". Tout en affirmant la volonté de s'enraciner dans la culture africaine, il recherchait à s'approprier la culture occidentale, et voulait (contrairement au leader soudanais) le maintien de relations étroites avec l'ancien colonisateur.

Outre l'antagonisme entre les deux hommes, les différences de style et de méthode, des orientations idéologiques différentes font partie des nombreux facteurs qui ont conduit à l'éclatement de la fédération du Mali.

 On peut citer :

•La différence de conception de l'expérience fédérale : Les Soudanais voyaient en la fédération du Mali, une étape vers un État unitaire, les Sénégalais s'en tenaient à l'idée d'une confédération plus souple.

•Le désaccord sur le type de relation avec la France : Partisan de l'africanisation des cadres, Modibo Keita dénonçait la présence de fonctionnaires français à certains postes de responsabilité au sein de l'administration sénégalaise et affirmait ouvertement ses sympathies pour le F.L.N. pendant la guerre d'Algérie. Senghor, lui, n'approuvait pas de telles prises de position qu'il trouvait trop "radicales" et "inamicales" vis à vis de la France.

•Certaines initiatives politiques des soudanais étaient considérées par les dirigeants du pays comme une immixtion dans les affaires intérieures du Sénégal. Cette accusation concernait notamment, les contacts directs que Modibo Keita avait noués, (durant ses fréquentes tournées à l'intérieur du Sénégal) avec les responsables politiques et religieux locaux.

 D'autre part la présence des centaines de fonctionnaires soudanais qui "peuplaient" les divers administrations fédérales devenait de plus en plus embarrassante pour certains sénégalais qui n'hésitaient pas à alerter la population sur les risques d'une "colonisation soudanaise".

•Les divergences à propos du calendrier de la constitution d'un marché commun africain et la création d'une grande zone monétaire africaine ne se limitant plus aux seules anciennes colonies françaises d'Afrique.

•Lamine Gueye Les vives controverses à propos du choix du futur président de la fédération dont l'élection était prévue pour le 27 août 1960 :

 Le président de la fédération devait-il être Modibo Keita ou Léopold Sédar Senghor ?

Si les soudanais étaient tous unis derrière Modibo Keita, les sénégalais, eux, étaient divisés et se répartissaient entre ceux qui soutiendraient Léopold Sédar Senghor et ceux qui préféreraient une candidature de Lamine Guèye.

L'écrivain et ethnologue, Amadou Hampâté Bâ, témoin des événements, décrit la "situation explosive" qui prévalait à Dakar lorsqu'il y arriva ce 19 août 1960 :

Amadou Hampâté Ba : « À mon arrivée, les élections fédérales étaient imminentes. Les députés du Sénégal et du Soudan, qui avaient été convoqués à Dakar, occupaient tous les hôtels et logements. Le Président Modibo Kéita, qui m’attendait impatiemment, (…), envoya le Docteur Doudou Guèye pour m’accueillir et pourvoir à mon hébergement. Doudou Guèye était accompagné de notre ami commun, M. Rouyat chez qui il s’était lui-même réfugié, sa demeure n’étant plus sûre. Que s’était-il passé ?

Tout allait très mal, désormais, entre les dirigeants de la fédération du Mali. Ils s’étaient divisés en trois groupes :

1. Le groupe fidèle à la fédération du Mali composé de tous les Soudanais et quelques Sénégalais, dont les plus notoires étaient le Colonel Soumaré et le docteur Doudou Guèye, pour n’en citer que deux parmi beaucoup d’autres ;

2. Le groupe pro-Lamine Guèye. Ce grand phare, doyen, soleil de la politique africaine, était, hélas, en perte de vitesse. Tout soleil, ici-bas, ne doit-il pas connaître un coucher ? Le grand Lamine Guèye n’avait certes pas démérité, mais un regrettable incident lui avait fait perdre l’appui du Grand marabout Seydou Nourou Tall et, par voie de conséquence, d’une bonne partie des Toucouleurs du fleuve et des Ouolofs Tidjani;

3. Enfin, le groupe Léopold Sédar Senghor - Mamadou Dia, fortement appuyé par la plupart des grands marabouts du Sénégal, dont Thierno Seydou Nourou Tall.

Ainsi divisés en deux groupes (pro-Lamine Guèye et Senghor-Dia) les Sénégalais n’avaient aucune chance de gagner les élections qui devaient avoir lieu pour désigner le chef d’État de la fédération et ses ministres, alors que les Soudanais, unis, feraient facilement triompher leur candidat qui ne pouvait être autre que Modibo Kéita, déjà Chef du gouvernement. Il fallait donc empêcher le vote d’avoir lieu : seul le groupe Senghor - Dia pouvait réussir cet exploit titanesque. N’avait-il pas pour lui tous les atouts : les forces mourides et tidjanes, l’église et, à cette époque, (contrairement à la période du début de la fédération) tacitement la France ? Telle était, rapidement exposée, la situation explosive que je trouvais à mon arrivée à Dakar, le 19 août 1960. »

Amadou Hampâté Bâ.

Le premier accroc sérieux dans le fonctionnement des institutions de la fédération du mali eu lieu fin juillet à l'occasion de la nomination du chef d'état-major :

 Le 30 juillet 1960, Le conseil de ministre du gouvernement fédéral arrête la nomination du colonel Soumaré (un sénégalais qui a des attaches soudanaises) au poste de chef d'état-major.

Mamadou Dia, ministre de la Défense, qui avait lui, proposé le colonel Fall, refusera de contresigner le décret comme l'exige la constitution fédérale du 18/06/1960. Il protestait ainsi contre ce qu'il considérait comme un empiètement sur ses prérogatives.

Cela sera lourd de conséquence sur la suite des événements.

Les dirigeants sénégalais ont-ils mis à profit des "maladresses" ou des "erreurs d'appréciation" des soudanais "un peu trop activistes", pour se défaire d'un engagement qui était devenu embarrassant?

Vingt-cinq ans après les événements, Mamadou Dia, dans ses mémoires, avoue avoir tenu, à l'époque, à Senghor les propos suivants : " Tu seras le président ou le Mali éclatera. A eux de prendre la responsabilité de cet éclatement en se parjurant. Si nous ne réussissons pas à obtenir le respect de leur parole, nous proclamerons la République du Sénégal et tu en seras le président ".

Le déroulement des événements sera conforme à cette menace.

Pourtant les convictions fédéralistes de Mamadou Dia comme de Modibo Keita ne peuvent être mises en cause. Alors ? ...

Avec du recul, en 1999, Mamadou Dia donne une explication :

 « Il (l'échec de la Fédération) a résulté de causes objectives et subjectives, dont la plus déterminante semble liée au fait que les concepteurs du projet n'avaient pas suffisamment pris en compte la force du micro nationalisme dans l'esprit des chefs politiques et des populations elles-mêmes. Il s'y ajoute qu'après le retrait de nos autres partenaires, la Fédération s'est réduite à un tête-à-tête entre Sénégalais et Soudanais qui ne pouvait qu'être un dialogue de sourds à l'époque, sans possibilité d'arbitrage ni même de résolution démocratique des conflits. Avouons aussi que de nombreux Sénégalais n'étaient pas enthousiasmés par une construction fédérale à laquelle ils avaient le sentiment d'avoir tout apporté, notamment Dakar et ses infrastructures, sans véritable contrepartie. Et que la partie soudanaise n'était pas non plus exempte de péchés. »

C)    Le récit des événements

Entre le 15 et le 19 août, Mamadou Dia s'assure sur le terrain de la fidélité des militants du parti.

Les "coordinations" de Thiès, Louga et Kébémer sont invitées à se mobiliser. Et effectivement aux premières heures de ce 20 août, des camions déverseront des militants venus " spontanément " soutenir leurs dirigeants nationaux. Parallèlement à cette action politique, Valdiodio Ndiaye, ministre de l'Intérieur, s'enquiert des bonnes dispositions des responsables des services de sécurité et leur donne des instructions pour le cas où, la Fédération du Mali viendrait à éclater.

Prévenu des préparatifs menés par les responsables sénégalais, Modibo Keita convoque à la hâte, le 19 août à 21 heures 30, le gouvernement fédéral. Des quatre membres sénégalais, seul est présent, Boubacar Gueye, ministre de la Justice et surtout neveu de Lamine Gueye. Les trois autres ministres sénégalais avaient préféré s'abstenir d'assister à une réunion au cours de laquelle diverses mesures (dont la destitution de Mamadou Dia) allaient être prises….

Deux heures plus tard, Modibo Keita s'en explique sur les antennes de Radio Mali. Soulignant que l'existence du Mali est en péril, le chef du gouvernement fédéral déclare que « certains dirigeants du Mali sous le prétexte d'élections présidentielles, voulaient mettre en cause l'intégrité du territoire national et créer un état de tension qui risque d'être à l'origine d'incidents extrêmement graves ».

1-      LE SIEGE DU GOUVERNEMENT FEDERAL :

Aussitôt après cette allocution, l'armée malienne composée en fait d'unités sénégalaises, est mobilisée pour occuper les accès aux principaux établissements administratifs et notamment la radio.

Si l'armée se déploie effectivement, la gendarmerie sénégalaise s'y refuse, s'abritant derrière un décret soumettant les corps de gendarmerie des deux pays à la seule autorité des gouvernements locaux. Mais en réalité la gendarmerie sénégalaise, dirigée alors par un officier supérieur français, le lieutenant-colonel Pierre, ainsi que la Garde républicaine avaient déjà été requises par Mamadou Dia qui, cumulativement avec ses fonctions de vice-président du gouvernement fédéral, assurait la charge de président du Conseil du Sénégal.

Cette nuit-là, une véritable course de vitesse est, en fait, engagée entre le gouvernement fédéral malien et les autorités sénégalaises pour s'assurer le contrôle de la situation et avoir la haute main sur les forces de maintien de l'ordre présentes sur le territoire sénégalais. Elle tournera très vite à l'avantage des dirigeants sénégalais, qui, dès 12 heures, ce 19 août, avaient été informés des décisions qui allaient être prises par Modibo Keita et ses amis. C'est dire donc que toutes les dispositions avaient déjà été prises du côté sénégalais pour neutraliser les "partenaires" soudanais et franchir le pas juridique et constitutionnel qui allait conduire au retrait de ce pays de la Fédération du Mali.

Entre 23 heures et 2 heures du matin, les autorités sénégalaises ordonnent aux unités de l'armée sénégalaise de rejoindre leurs casernes et de ne plus obtempérer aux ordres donnés par Modibo Keita. L'armée est remplacée par des éléments de la gendarmerie, de la Garde républicaine et de la police sénégalaise qui seront chargés de prendre position aux abords immédiats des principaux points stratégiques de Dakar. Ils s'empareront, entre autres, de l'émetteur de Rufisque (à environ vingt-cinq kilomètres de la capitale) interrompant ainsi les émission de Radio Mali. Les forces fidèles au gouvernement sénégalais procéderont à l'arrestation du chef d'état-major de l'armée malienne, le colonel Abdoulaye Soumaré, venu s'enquérir au quartier général de la gendarmerie de Médina (à Dakar) de la bonne exécution des ordres transmis par les autorités maliennes. Il est aussitôt remplacé par le colonel Fall qui prend en main le commandement de toutes les opérations de maintien de l'ordre. A cet instant la cause est entendue.

A une heure du matin, le conseil des ministres du Sénégal se réunit en urgence et à l'issue de ses travaux, Mamadou Dia, président du Conseil, déclare sur les antennes de Radio Sénégal que « Modibo Keita a éprouvé le besoin d'abuser de la force qu'il détenait de nous pour s'en servir contre notre peuple, espérant sans doute que les Sénégalais étaient suffisamment veules pour tolérer que lui, Modibo Keita, venant de Bamako, puisse disposer de nous à sa guise. C'est bien mal connaître les Sénégalais. Tout le Sénégal se dressera pour défendre son honneur... »

En sa qualité de secrétaire général de l'Union progressiste sénégalaise et non de président de l'Assemblée fédérale du Mali, Léopold Sédar Senghor utilise le même ton cette nuit-là : « Poussé par une ambition folle, déclare-t-il, Modibo Keita vient de tenter un coup de force contre le peuple sénégalais. Il a destitué Mamadou Dia, or, il fallait pour cela l'approbation du gouvernement du Sénégal. Il ne l'a pas demandée et il a mobilisé les troupes du Mali contre le peuple du Sénégal. Or ces troupes sont en majorité composées de Sénégalais. L'heure est grave, jamais le Sénégal n'a été dans une telle situation. Il s'agit de défendre notre indépendance car ce que l'on veut, c'est vous coloniser, vous réduire en esclavage. Je suis prêt à mourir et avec moi tous les militants de l'UPS pour que vive le Sénégal. »

Dans le même temps, affluent vers Dakar, de tous les coins du Sénégal des militants du parti. Il faut dire que depuis près d'une semaine les principaux responsables politiques sénégalais s'étaient évertués à les sensibiliser sur les graves dangers de " soudanisation " de leur pays et sur les intentions malveillantes de " ceux venus de Bamako ". Cela, à l'image de Mamadou Dia qui lors d'une manifestation publique au cœur même du mouridisme, à Touba, déclarait sans ambages : « Notre pays a été colonisé par la France. Aujourd'hui nous ne subissons plus cette tutelle, ce n'est pas pour qu'un autre pays, surtout un territoire semblable au notre, vienne à son tour nous coloniser. »

Toutes les conditions sont donc réunies du côté sénégalais pour engager officiellement le processus de retrait de la Fédération du Mali. Peu après la réunion du conseil des ministres, vers 2 heures du matin, l’Assemblée législative du Sénégal, en l'absence de son président, Lamine Gueye, se réunit en toute hâte et proclame l'indépendance du Sénégal. L'abrogation de la loi portant transfert de compétences à la Fédération du Mali votée quelques mois plus tôt, à laquelle l'Assemblée procède, signe l'arrêt de mort de la Fédération.

Les parlementaires sénégalais adoptent également des lois instituant l'état d'urgence sur le territoire sénégalais et donnant pleins pouvoirs pour trois mois au gouvernement présidé par Mamadou Dia, et d'où émerge un homme : Valdiodio Ndiaye, qui cumule désormais les fonctions de ministre de l'intérieur et de la Défense. Ce dernier est ainsi récompensé pour le rôle actif qu'il a joué dans le ralliement des forces de l'ordre sénégalaises lors des moments décisifs.

Le 21 août 1960 à 18 heures 30, un cortège de voitures escorté par des éléments de la gendarmerie sénégalaise se dirige à vive allure vers la gare centrale de Dakar. A bord de ses voitures, dont l'itinéraire a été soigneusement tracé, se trouvent tous les dignitaires soudanais, de la Fédération du Mali. Le président du gouvernement fédéral malien, Modibo Keita, et son épouse, les ministres soudanais de ce même gouvernement, les vingt députés fédéraux soudanais, des hauts fonctionnaires de la nouvelle administration fédérale et leurs familles figurent parmi ces passagers contraints par la force de quitter le territoire sénégalais. Un autorail spécial doit les emmener aussitôt vers Bamako leur destination finale.

L'attitude controversée de la France :

À défaut d'avoir pris officiellement position contre la Fédération du Mali, la France n'a jamais éprouvé de sympathie particulière pour la construction de cette Fédération qui, à ses yeux, isolait la Côte d'Ivoire son principal allié.

L'attitude du gouvernement français pendant les événements du 19 au 20 août 1960 sera sujette à controverse. Les autorités françaises se sont-elles rangées aux côtés du Sénégal, comme l'affirma Modibo Keita, ou au contraire se sont-elles tenues sur la réserve comme l'a toujours soutenu la version officielle française ?

Quelle que soit la thèse que l'on privilégie, il ne fait guère de doute que le gouvernement français s'est cantonné dans une attitude de neutralité apparente, qui, dans le contexte politique, militaire et stratégique de l'époque ne pouvait que profiter au Sénégal.

(Source : «FEDERATION DU MALI : LE FAUX COUP D'ETAT DE MODIBO KEITA»

 Par Albert Bourgi - JAPRESS 1989)

Entre la frontière sénégalaise et Bamako, après l'éclatement de la fédération du Mali, le train ramenant Modibo Keita et ses compagnons, s'arrêta plusieurs fois dans différentes gares (notamment les gares de Kayes et de Kita) où des foules nombreuses vinrent chaleureusement les accueillir et écouter les explications du leader soudanais.

 Évoquant la crise ayant entraîné l'éclatement de la fédération, le président Modibo Keita affirma que celle-ci a été l'aboutissement du « divorce politique avec quelques dirigeants sénégalais plus français que les Français et qui voulaient franciser le Mali ». Il ajouta que ce divorce vient aussi de divergence sur les problèmes économiques à propos de la constitution d'un marché commun africain telle qu'elle est prévue au programme politique du parti de la Fédération africaine et d'une zone monétaire africaine dans laquelle peuvent exister plusieurs sortes de francs ( franc C.F.A., franc camerounais, etc...).

 « Pour avoir dit, poursuivit M. Keita, que nous avons trop tardé à prendre position sur le problème algérien, que nous ne pouvons pas rester muets devant la lutte héroïque que mène un peuple colonisé pour son indépendance, que nous ne pouvions pas rester indifférents devant le problème algérien et qu'après avoir tout tenté avec la collaboration des autres états africains nous en arrivons, s'il le fallait à la reconnaissance du "G.P.R.A.", des hommes se sont émus à Paris et ont tiré les ficelles.»

 Selon Modibo Keita, ces hommes se sont également émus de son projet de se soustraire à toute emprise économique afin que l'indépendance soit totale.

 Il fit ensuite l'historique des événements du 19 août et a stigmatisé l'attitude de certains officiers français. Puis il a démenti n'avoir jamais voulu fomenter un complot contre les dirigeants sénégalais. « Nos intentions, expliqua-t-il, c'était d'assurer le bon fonctionnement des institutions du Mali » il ajoutera plus tard que s'il avait voulu fomenter un coup d'État, il aurait d'abord « investi les services sénégalais et les logements des responsables sénégalais au lieu de faire protéger des immeubles fédéraux par l'armée malienne ». Concluant son allocution, Modibo Keita déclara notamment : « La loyauté n'est pas toujours payante, mais devons-nous pour autant être déloyaux ? Nous continuerons à être loyaux...»

Arrivée de Modibo Keita

Modibo Keita arrive à la gare de Bamako vers deux heures du matin :

La moitié de la population de la capitale a veillé pour pouvoir l'accueillir.   

Le train arriva en gare de Bamako où l'attendaient, malgré l'heure tardive (1h.40 du matin), quelque cinquante mille Soudanais, soit la moitié de la population de la capitale soudanaise. Des jeunes filles offrirent des fleurs au chef du gouvernement qui fut salué par de nombreuses personnalités. Puis le cortège s'est rendu à la mairie où Modibo Keita s'est adressé à la foule massée sur la place en la remerciant pour son chaleureux accueil.

L'expérience de la Fédération du Mali avait suscité beaucoup d’intérêts dans le monde : De la curiosité pour beaucoup d’observateurs de la politique africaine, de l’espoir pour certains panafricanistes, ou, au contraire, de l’hostilité pour ceux qui considéraient qu’elle menaçait leurs intérêts dans la région.

Son éclatement ne laissait donc, personne indifférent. Voici les réactions de quelques capitales aux événements du 19 août 1960 :

•PARIS : ‘’Venez me voir’’

Le Général de Gaulle fait remettre le 20 août 1960 à Modibo Keita et à Mamadou Dia des messages les invitant à se rendre à Paris : « pour m'entretenir de vos intentions, soit dans le sens d'un rapprochement entre le Soudan et le Sénégal, soit en vue des rapports que vous envisagez entre le Soudan, le Sénégal et la France au sein de la communauté, dans des conditions nouvelles...»

•DAKAR : “le Sénégal est sorti du Mali”

Répondant à l'invitation de De Gaulle, Mamadou Dia, chef du gouvernement sénégalais en arrivant à Paris déclare : «  le fait, aujourd'hui, c'est que le Sénégal est sorti du Mali, qu'il est un État indépendant.  Il y a un point sur lequel nous avons eu tort, ... c'est celui de l'unité préalable à l'indépendance... M. Houphouët-Boigny avait raison. »

•BAMAKO : "Le Mali continue"

 Au cours d'une conférence de presse le 26 août 1960, Modibo Keita affirme que « le Mali est juridiquement indissoluble...» il confirme qu'il a bien demandé la réunion du conseil de sécurité de l'O.N.U.

•WASHINGTON : "Des regrets"

Le 24 août 1960, la porte-parole du département d'État déclare : « exprimer les regrets qu'éprouve le département à la suite de la publication des nouvelles concernant les divergences de vue entre les membres sénégalais et soudanais de la Fédération du Mali et exprimer l'espoir d'un règlement à l'amiable puisse être élaboré entre les partis directement intéressés. »

•MOSCOU : “Les officiers français ont empêché de sauver le Mali”

Radio-Moscou déclare qu'à la suite des agissements séparatistes des « conspirateurs ayant à leur tête M. Mamadou Dia, Modibo Keita avait décidé d'utiliser les forces armées pour défendre la fédération contre les conspirateurs. Toutefois les officiers français placés aux postes de commandement de l'armée l'ont empêché de réaliser son objectif. »

• LONDRES : Des inquiétudes.

Au Foreign Office la crise a causé un réel malaise. Les dangers de voir le Soudan s'orienter vers une association étroite avec la Guinée en vue d'obtenir un nouveau débouché maritime ne sont pas sous-estimés. On risquerait pense-t-on d'aboutir à une internationalisation du Sahara français. Bref, le maintien des liens entre le Soudan et la communauté française est considéré ici comme un facteur essentiel de la stabilité en Afrique.

• ABIDJAN : ‘’De la prudence’’

Dans les milieux officiels ivoiriens, si l'on se montre satisfait de l'hommage rendu à M. Houphouët-Boigny par MM. Mamadou Dia et Senghor, le souci demeure de ne pas pousser le Soudan dans les bras de la Guinée en prenant parti pour le Sénégal.

• LE CAIRE : “L'affaire ne peut profiter qu'au colonialisme.”

Selon une émission de la radio du Caire le 22 Août 1960 : « L'éclatement de l'unité du Mali ne peut profiter qu'au colonialisme français. Le peuple malien affronte les combats de la période de l'après-indépendance. Ces combats peuvent être parfois plus durs, plus rudes et plus importants que les combats menés pour l'indépendance elle-même. »

• OUAGADOUGOU : “Les événements nous donnent raison.”

Le président de la Haute-Volta, M. Maurice Yaméogo, dans une déclaration publiée le 23 août 1960, dit : « Les événements nous donnent raison. ... Rien ne sert jamais de précipiter les événements, et ceux qui ont voulu aller trop vite sont obligés aujourd'hui de réfléchir...»

•COTONOU : "No comment"

Pas de commentaire de M. Hubert Maga, premier ministre du Dahomey. Seul l'organe du parti des nationalistes affirme « déplorer l'éclatement du Mali »

 

 

Et en conclusion, ce rappel historique me semble nécessaire. L’unité africaine ne peut se faire que si les principaux dirigeants oublient leur égoïsme propre et mettent en dehors de leur préoccupation légitime les interventions étrangères. La création de l’OUA devenue UA était un compromis, et même un compromis laborieux, entre partisans et détracteurs du supranationalisme. Les partisans pour un gouvernement continental panafricain, loin d’être satisfaits, espéraient influencer plus tard le cours des événements. Tout laissait rêver à une évolution vers la réalisation d’une véritable unité du continent.

Au regard des événements actuels en Afrique avec ses multiples difficultés, l’Afrique n’aurait-elle pas raté son entrée dans la société internationale ? Si l’Afrique révolutionnaire l’avait emporté à Addis-Abeba lors de la création de l’OUA, les conflits internes, les problèmes frontaliers et les coups d’État répétés y seraient-ils d’actualité ? L’Afrique n’aurait-elle pas plus de considération que l’image qu’elle incarne aujourd’hui sur l’échiquier international ?

À l’analyse des événements qui ont conduit à sa création, l’OUA demeure une institution dont les problèmes restent encore entiers tant sur les plans politique, économique, social, idéologique que juridico-institutionnel. Aujourd’hui, malgré le besoin de l’unité africaine incarnée par L’UA, les coups d’état permanents se sont mutés en coup électoral. Par ci par là on modifie les constitutions pour demeurer au pouvoir alors que les populations restent figées par les précarités.  N’Krumah aurait-il eu raison quand il déclarait au sommet d’Addis-Abeba en 1963 : « Le retard à la réalisation véritable de l’unité africaine approfondit nos différences et nous jette dans le filet des néo-colonialismes. Et il nous fera perdre à jamais la course solennelle vers la rédemption totale de l’Afrique ».

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05/04/2016
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