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Le Sénégal doit-il resté francophone face au règne du wolof ?

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A. La Francophonie

Le Sénégal a accueilli le sommet de la Francophonie en 2014, succédant ainsi au 14ème sommet de Kinshasa. Ce pays, d'où est originaire M. Abdou Diouf, le président de l'OIF, a été préféré au Vietnam ou la Moldavie et aussi Haïti qui s'étaient également proposés pour organiser le 15ème sommet de ladite organisation.

C’est par le Sénégal que la langue française a été introduite en Afrique. Notre pays est, en effet, la première colonie où fut ouverte une école française, précisément à Saint-Louis. Autant dire l’ancienneté de cette langue d’origine latine sur notre territoire national, qui a révélé en 1920 le premier écrivain africain, Amadou Mapathé Diagne, l’auteur des « Trois volontés de Malic » né le 7 septembre 1886 à Gandiol au Sénégal, qui fut le premier écrivain africain de langue française et n’oublions surtout pas le premier agrégé de Grammaire et académicien noir d’origine sénégalaise : Léopold Sédar Senghor, le père de la Francophonie.

Les indépendances acquises depuis plus d’une cinquantaine d’années et compte tenu des résultats catastrophiques observés lors des examens du baccalauréat, on est en droit de se demander si le Sénégal doit rester un pays francophone ? D’ailleurs, dans son premier roman Amadou Mapathé Diagne évoquait déjà la cohabitation de la culture occidentale française et de la civilisation noire dans son village de Diamaguène. « Cet écrit constitue le premier texte romanesque en langue française ». Il posait ainsi les bases d’un triptyque entre des civilisations qui pouvaient paraitre plus antagonistes, plus destructrices que complémentaires. Malheureusement les pères de la francophonie ont plutôt œuvré pour la complémentarité des civilisations et au moment où il fallait créer de nouvelles nations, la langue française paraissait comme un mal nécessaire pour ces nouvelles entités.

Mais voilà qu’aujourd’hui, le Sénégal est en passe de devenir le pays d’Afrique où l’on parle le français le plus fautif et le plus incorrect. Et ce n’est pas le « correcteur public » Mr Mamadou Sy Toukara de l’émission : « Sénégal ça Kanam » qui dira le contraire. Comment en est-on arrivé là ? Plusieurs raisons pourraient expliquer cette régression du niveau des Sénégalais en français. Il est possible de dénoncer l’état catastrophique où se trouve l’École sénégalaise avec ses effectifs pléthoriques, son système de double flux, ses cohortes de volontaires ou de vacataires qui en savent très souvent moins que leurs élèves ! À cela, s’ajoute la réduction scandaleuse du temps de travail qu’entraînent les innombrables fêtes et jours fériés, sans compter les multiples grèves et vacances scolaires.

Aussi, l’environnement intellectuel des Sénégalais semble de plus en plus hostile à cette langue. Preuve en est que dans les textes officiels, les inscriptions et les journaux, on ne rencontre qu’un français qui doit faire retourner Senghor et Molière dans leurs tombes respectives. Ainsi merci de me juger sur le contenu de mon message et non dans le respect des multiples méandres et subterfuges de la langue française.

Mais le mal le plus profond et le plus insidieux réside dans ce nationalisme de façade qui revendique, comme le dit l’écrivain Mamadou Traoré Diop, « le devoir patriotique de mal parler le français ». Telle semble être, du reste, l’opinion de certains linguistes autoproclamés, qui ont l’art de faire de l’enseignement des langues nationales un fonds de commerce politicien et qui prétendent qu’aucun État ne s’est développé avec l’usage d’une langue étrangère.

Ces linguistes « nationalistes » sembleraient ignorer que le français n’est pas né sur le sol de l’Hexagone, que la langue de Molière est plutôt celle de Jules César. C’est bien ce conquérant romain qui, en 52 avant Jésus-Christ, battit les Gaulois de Vercingétorix à Alésia et leur imposa sa langue, le latin, qui, par suite d’une évolution historique, a donné naissance au français actuel parlé dans les rues de Paris, de Dakar, du Québec ou de Libreville.

Dès lors, il devient une nécessité pour que le français constitue, pour nous autres Africains, un précieux patrimoine culturel que nous a légué la colonisation française, au même titre que les Français, eux-mêmes, ont reçu cette langue de la colonisation romaine. Mieux, la diversité linguistique représente une grande richesse que nous devrions sauvegarder en nous enracinant d’avantage dans notre civilisation par l’étude de nos langues nationales et en nous ouvrant aux autres peuples par l’acquisition des langues étrangères les plus parlées à travers le monde.

Comme le français nous est échu en partage par le biais de l’histoire, efforçons-nous, sans complexe, de nous l’approprier et de le maîtriser. Voilà l’objectif que nous devons prendre en considération tout en sachant dompter cette langue et l’adapter à nos valeurs propres, n’est-ce-pas cela le sens des langues créoles qui ont su faire cet acte positif. Ne rejetons pas tout, mais sachons en chaque chose, tirer le positif.

Si un sénégalais de la banlieue invite un blanc en formulant son invitation en wolof, n’y voyez pas l’expression d’une quelconque défiance. C’est tout simplement dû au fait que dans ces immenses banlieues dakaroises, l’usage du français est des plus limités, et que le wolof règne en maître. Un grand nombre d’habitants des banlieues sont bien incapables de formuler des phrases en français. Certains n’ont jamais été à l’école. Parmi ceux qui y sont allés, beaucoup n’ont guère entendu la langue de Molière car bien des enseignants préfèrent s’exprimer en wolof à la maison et même pendant les cours.

Dans nombre de capitales d’Afrique francophone, la langue de Voltaire a pu s’imposer comme « lingua franca », permettant ainsi à des centaines d’ethnies de se mettre d’accord sur l’usage d’une langue, d’avoir un terrain d’entente.

Si à Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, l’on préfère parler le français plutôt que de donner la primeur à telle ou telle autre langue ; tout est différent à Dakar, la capitale du Sénégal, où le wolof s’est imposé en roi. Même dans les milieux intellectuels, cette langue gagne du terrain.

« Mon patron impose l’usage du wolof dans toutes les conversations. Même si cette langue n’est pas vraiment adaptée aux discours techniques », explique Aissata, cadre dans une grande compagnie d’assurance. C’est pour cela à Dakar, beaucoup d’autres Africains francophones sont très souvent désarçonnés par cette omniprésence de la langue wolof.

« J’ai demandé à des Sénégalais de m’indiquer le chemin. Ils m’ont répondu qu’il fallait s’exprimer en wolof, alors même que je leur avais expliqué que je ne parle pas cette langue », s’étonne un Ivoirien, qui a dû abandonner la conversation avant qu’elle ne tourne au pugilat. « Nombre d’Ivoiriens, de Béninois et autres expatriés se sentent de moins en moins à l’aise à Dakar, à cause de l’omniprésence de cette langue uniquement en usage au Sénégal », explique Alphonse, un enseignant d’origine béninoise. D’ailleurs même des Sénégalais s’agacent du poids croissant de cette langue. 

Ainsi « Très longtemps, le chanteur Baaba Maal a été boudé par les radios sénégalaises parce qu’il chantait en pulaar et non pas en wolof. Moi aussi je veux défendre ma culture. À la maison, avec mes enfants je ne parle que le français et le pulaar. Je veux leur transmettre cet élément essentiel de l’identité », affirme Assane, un haut fonctionnaire d’origine peule.

En Casamance, dans le sud-ouest du Sénégal, comme dans les autres régions, le poids du wolof irrite parfois. « Au tribunal, les conversations se font le plus souvent dans cette langue. Les populations locales sont défavorisées. Ce n’est pas leur idiome. Comment peuvent-elles se défendre dans une langue qu’elles ne maîtrisent pas » ? Regrette Mr Savané, un haut fonctionnaire, même s’il reconnaît que des interprètes sont présents dans la plupart des juridictions.

À la télévision et à la radio, le wolof domine aussi. Les programmes en français ou dans les autres langues sont très minoritaires. Les débats politiques, sociétaux ou culturels se font généralement en wolof. Un wolof « maquillé » de français. Seuls les feuilletons, les films américains ou les séries indiennes sont doublés en français. Mais inutile d’espérer le commentaire d’un combat de lutte dans la langue de Molière ou un quelconque sous-titrage en français des débats en wolof. Certains producteurs n’ont ’ils pas été déçu de constater qu’il était immoral de sous-titré les feuilletons sénégalais. Par certains côtés, beaucoup d’Occidentaux éprouvent moins un sentiment d’altérité dans le sud du Nigeria où le pidgin-English, encore appelé Brocken English, sert de langue véhiculaire.

Au Sénégal, nombre d’enseignants se plaignent d’une baisse générale du niveau en français. « Il a considérablement diminué au cours des dernières années.  « Les professeurs parlent très souvent en wolof. Dans la vie de tous les jours, le wolof domine », explique Oumar Sankharé, enseignant à l’université de Dakar. Il ajoute à cela une explication politique : « Lorsque l’on demande à certains Sénégalais pourquoi ils ont autant de réticence à s’exprimer en français, ils donnent des justifications politiques. Ils affirment que ce n’est pas la langue du Sénégal. Un étrange nationalisme s’est développé ces dernières années ». Comme nous l’avons vu précédemment.

Malgré tout cela, après Léopold Sédar Senghor, Oumar Sankharé est le deuxième agrégé de grammaire du Sénégal. Il vient de décrocher ce précieux titre. Mais, selon ce dernier, les médias dakarois en ont peu fait cas. « Ici, on préfère faire les gros titres sur des lutteurs et des politiciens », constate l’un de ses collègues.

Même les enseignants du primaire s’alarment du niveau des élèves. « Il a considérablement baissé. C’est pire chaque année », s’inquiète Cheikh, un instituteur dakarois. Cheikh constate lui aussi que les enseignants préfèrent parler à leurs élèves en wolof. Même les élites ont pris le parti de s’exprimer de plus en plus souvent en wolof. Le français pratiqué est parfois devenu hésitant ou académique. Comme s’ils parlaient une langue étrangère, ou même une langue morte. Le vocabulaire est quelques fois daté, ancien, figé ou « wolofisé ».

Cette situation est d’autant plus étonnante que le Sénégal s’enorgueillit d’être le berceau de la francophonie. Léopold Sédar Senghor, chef de l’État de 1960 à 1980, a été un grand défenseur de la francophonie. Il prétendait même au titre de « père de la francophonie ». Le président poète a toujours proclamé son amour de la langue française et son successeur, Abdou Diouf, au pouvoir de 1980 à 2000, dirige désormais la francophonie.

A l’image de Jacques Diouf, à la tête de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) jusqu’à l'été 2011, les Sénégalais sont omniprésents dans les organismes internationaux. Traditionnellement, ils étaient réputés pour leur maîtrise de la langue française. Des Ivoiriens avaient d’ailleurs pour coutume de dire que les Sénégalais parlaient le « gros français », à savoir le français au vrai sens du terme. Mais de plus en plus, le « gros français » donne l’impression de décliner. Il laisse place à un français créolisé, un mélange de français, de wolof et aussi d’anglais.

De plus en plus de Sénégalais font des études et de longs séjours en Amérique du Nord et ils truffent leur français d’expressions américaines. Le déclin du français au Sénégal est aussi lié, sans doute, à la perte d’influence de Paris. Et au moindre attrait de la culture française à Dakar. Si partout en Afrique et dans les anciennes colonies on parle de francophonie, ici en France à Paris ce terme paraît désuet et mal intentionné.

La capitale sénégalaise est la région la plus à l’ouest d’Afrique, la plus proche des États-Unis. Une terre qui fait fantasmer. Même les lutteurs professionnels rêvent d’Amérique. A l’image de l’une des vedettes de la profession, Tyson, qui aime à se vêtir d’une bannière étoilée et à s’entraîner aux États-Unis.

Fin juillet à Dakar, j’ai croisé l’ex-ministre d’État Landing Savané. Cet ancien militant d’extrême gauche affirme qu’il sera sans doute candidat à l’élection présidentielle de 2012. Même lui qui revendique son passé soixante-huitard à Paris, admet regarder de moins en moins vers le Quartier latin. Quand Landing Savané n’est pas au Sénégal, c’est aux États-Unis qu’il se rend désormais. Signe des temps, Sitapha Savané l’un de ses enfants choisit une toute autre voie que celle de son père. Le fils de celui-ci joue au basket NBA aux États-Unis…

B. La réalité du Sénégal

Le territoire sénégalais est couvert par au moins une vingtaine de langues africaines qui servent à la communication quotidienne de communautés linguistiques nationales dont la taille démographique est variable. De ces langues de communication inter-ethniques a émergé le wolof qui est ainsi retenu comme langue nationale et langue d’alphabétisation, à côté de cinq autres langues qui sont le poular, pulaar ou peul ; le sérère ou sereer ; le diola ou joola ; le mandika ou mandingue et le soninké ou Sarakollé. Toutes ces langues nationales n’ont pas le même dynamisme sur l’étendue du territoire national. Certaines sont d’un usage majoritaire, soit dans une localité, soit dans une région. Seule la langue wolof couvre au moins 80 % du territoire national comme première ou deuxième langue de communication.

Les six langues nationales reconnues par le décret N° 71 566 du 21 mai 1971 sont représentées dans la région de Dakar et surtout dans le chef-lieu de région. Dakar est devenu une véritable ville carrefour où convergent toutes les communautés linguistiques souvent pour des raisons socio-économiques. À côté du wolof, le français se trouve comme langue de communication interethnique dans tous les centres urbains du pays et même dans certains milieux ruraux. L’usage du français est fréquent là où le wolof n’est pas forcément utilisé, ce qui lui assure son statut de langue seconde dans le champ du répertoire linguistique des Sénégalais. Le français n’est plus perçu comme langue du colonisateur mais plutôt comme une composante du patrimoine linguistique national. Le Sénégal pourrait donc être vu comme le prototype d’un pays francophone d’éducation.

En effet, dans une approche géopolitique, un État se définit comme un État francophone s’il reconnaît le français comme langue officielle d’une façon unique ou plurielle, si son chef d’État participe au « Sommet des chefs d’États francophones » et est impliqué dans les opérateurs de ces Sommets, comme l’Agence de la francophonie – anciennement dénommée Agence de coopération culturelle et technique – ou comme l’AUPELF-UREF, et s’il est utilisateur exclusif du français dans toutes les communications officielles internationales et de manière privilégiée dans les communications nationales.

Ainsi, la situation géopolitique de la francophonie sénégalaise n’est entachée d’aucune incertitude. Le français est la langue de l’État sénégalais et les populations sénégalaises, par le biais de l’école et par une production et une exposition langagière suffisantes : médias d’État, publications institutionnelles et didactiques, se sont appropriées le français comme langue de communication, signant ainsi l’acte de copropriété et de partenariat entre le français et les langues nationales dont le wolof qui, par sa dynamique sociale, est l’une des premières langues véhiculaires à côté du français. C’est cette situation de plurilinguisme, où le français occupe une position institutionnellement privilégiée, qui a fait dire à Abdou Diouf, président de la République du Sénégal, dans son allocution lors du Sommet francophone de Cotonou : « en Afrique, la langue française doit inscrire son maintien et son dynamisme dans le contexte linguistique, culturel, éducatif, médiatique et géopolitique africain. Elle cohabite avec nos langues dont on dit qu’elles sont ses partenaires. Mettons donc en œuvre ce partenariat ».

C’est là une reconnaissance officielle de l’évidence de l’inscription du français dans le multilinguisme, ce qui ouvre alors la possibilité d’examiner la politique linguistique et éducative appliquée ou suggérée au Sénégal.

a. Paysage sociolinguistique du français au Sénégal

La coexistence du français et des langues nationales ouvre la possibilité de représenter sous forme de tableaux chiffrés, à partir de la grille d’analyse des situations de francophonie élaborée par Robert Chaudenson, les rapports entre le français et les langues nationales au Sénégal.

Cette grille d’analyse des situations linguistiques de l’espace francophone sera expérimentée sur le Sénégal à partir du « status » (statut et fonction) des langues en présence et du corpus, défini par Robert Chaudenson (1988) comme le mode et les conditions d’appropriation et d’usage de la compétence linguistique. Dans cette grille, il s’agit, comme le précise l’auteur, de chercher, avant tout, sur le plan du status, à rendre compte d’un choix de système, alors que sur le plan du corpus, on doit viser à saisir l’image d’une réalité concrète. À chaque rubrique une évaluation chiffrée est réalisée donnant ainsi un total de 100 points, ce qui correspondrait au cas limite et idéal du français en France.

L’observation du status et du corpus d’évaluation approximative montre que le français a, au Sénégal, un status élevé et un corpus faible par rapport au wolof qui a un corpus important et un status faible. Cette différence entre corpus et status reflète l’importance du wolof dans le champ communicationnel des Sénégalais. Si la tendance de la dynamique du wolof et des autres langues nationales appuyée par une forte revendication culturelle, qui elle-même est soutenue par de nombreux ONG, ne s’essouffle pas, on peut s’attendre dans le futur à une revalorisation obligée des langues nationales. Le français sera alors une véritable langue seconde et les conditions favorables à un bilinguisme équilibré seront probablement mises en place.

C’est dans cette perspective qu’il faudrait saluer les conclusions, concernant l'éducation, du Sommet de la francophonie tenu à Dakar en 1989 où on a recommandé la mise en place d'une politique linguistique qui favoriserait l’organisation d’un véritable « partenariat linguistique entre le français et les langues nationales ». Cette politique devrait inciter à l’enseignement des langues africaines à l’école pour mieux enraciner cette institution éducative dans le milieu socioculturel de l’enfant. Car, en Afrique, aucune méthode de français, fut-elle de français langue seconde, ne parviendra jamais à combler le fossé qui sépare l’école de la vie.

Le seul moyen de réconcilier l’élève africain avec son environnement social n’est pas de lui apprendre une langue étrangère ou bien une langue seconde mais bien de lui enseigner à lire et à écrire dans sa langue première ou dans la langue véhiculaire nationale qu’il parle déjà.

b. La politique linguistique du Sénégal

La politique linguistique du Sénégal peut être caractérisée par les deux composantes suivantes :

• Promouvoir les principales langues nationales pour en faire des langues de culture,

• Maintenir le français comme langue officielle et langue de communication internationale.

Le français, de par son statut et les fonctions qu’il assume, s’est imposé comme une réalité linguistique nationale. Il est la langue officielle de l’enseignement.

Les établissements préscolaires utilisent les langues nationales jusqu’aux grandes sections (entre 3 et 5 ans) où un quart du temps est consacré à l’initiation au français. En revanche, dans l’enseignement privé catholique, seul le français est utilisé.

Par ailleurs, la communication écrite est entièrement en français dans l’administration. L’espace éditorial est presque totalement occupé par le français. En décembre 1971, avait été créée la revue mensuelle Kaddu, entièrement en wolof, animée par l’écrivain Ousmane Sembène et le linguiste Pathé Diagne. Cette revue a disparu de l’espace éditorial. Actuellement l’Association des Chercheurs du Sénégal, par sa branche linguistique, publie Sofa, une revue bilingue wolof et pulaar.

En dehors de ces trois domaines (enseignement, administration et presse) justifiant son « status », le français est d’un usage restreint comme le montre le tableau du corpus. Les communications quotidiennes s’établissent en langues nationales. Le monde des « affaires » est largement dominé par le wolof dans les grandes agglomérations. Les secteurs secondaire et tertiaire privés recrutent un personnel non scolarisé en français comme les travailleurs manuels.

d. Le wolof parlé au Sénégal

L’examen de la langue nationale utilisée, en particulier la langue véhiculaire du pays, montre l’importance du vocabulaire technique et administratif français dans le discours en langue nationale des Sénégalais. Les phénomènes d’alternance codique et de code « mixing » sont fréquents comme le prouvent cet exemple tiré de l’article de Ndiassé Thiam intitulé « La variation sociolinguistique du code mixte wolof-français », publié en 1994 dans la revue Langage et Société, N° 68.

« D’ABORD li mu fi AFFIRMER nii taxawul ci dara ». Combien de mots français ou de mots Wolof trouve-t-on dans cette phrase ?

Rares sont de nos jours les Sénégalais instruits en français qui sont capables de soutenir une conversation dans leur langue première sans employer dans chaque phrase un ou deux termes français, même si ces termes sont disponibles dans leur langue de socialisation première. La conversation conviviale se caractérise par un va-et-vient entre français et langues nationales pour se terminer dans un discours métissé, comme le confirme une de nos interviews recueillie à Dakar, lors d’une enquête que nous avions menée sur l’usage du français au Sénégal : « mais maintenant + dans les bureaux + partout + dans les cars + dans les rues + partout les gens + ils sont habitués à parler wolof + puis terminer en français ou bien parler français et terminer en wolof + de sorte que + c’est presque une habitude (Corpus enseignant) ». Nb les + sont des mots wolofs introduits dans le discours.

Ce témoignage atteste de la vivacité de la situation diglossique au Sénégal. La coexistence rapprochée entre le français et les langues de souche sénégalaise est à l’origine de l’alternance codique qui peut être considérée comme un indice de présence du français dans le champ communicationnel des locuteurs sénégalais. Le wolof comme langue véhiculaire permet en milieu urbain d’observer ce phénomène auquel les autres langues présentes sur le territoire national sont également assujetties.

Le wolof et le français se partageant de plus en plus certains domaines, cela a pour conséquence linguistique et sociolinguistique la rareté des interactions dans lesquelles le wolof, outil conscient de l’échange linguistique, est exempt de mots français. Ce partage de fonctions statutaires, entraîne des formes de métissage linguistique avec notamment des phénomènes d’alternance codique et d’emprunt qui vont des langues nationales au français. Ces phénomènes sont souvent la résultante de l’adoption d’un nouveau mode de vie urbaine où l’on a tendance à s’entourer d’objets n’appartenant pas à la tradition culturelle du pays et à discuter de sujets savants avec une approche contemporaine. Parler wolof, dans ces conditions, signifie utiliser beaucoup plus de mots wolofs que de mots français dans son discours et parler français serait probablement l’inverse.

Quelques autres exemples tirés des corpus du français parlé au Sénégal que nous avons recueillis, transcrits et archivés dans notre banque de données orales permettent d’illustrer le métissage en question.

Dans le corpus intitulé Reli, L2 refuse de parler français et décide de poursuivre la discussion en wolof. En revanche L1 décide de mener la discussion en français.

Voici le wolof de L2 :

« dafa am no xamne + intêret mo leen di dungal ci lunuy def + yow gisnga buma enrégister + yow mayma rek » (Reli, p. 1, L3 à 6 ) ou encore p. 16 L1 à 7

« mais l’islam pronewul + woxul nit ni dangay now rek toog di xoole comme ça yalla dana jox li + loolu bena religion waxu ko + da nu ni leen ngeen jàng + ngeen def lu nek + mais dinga essayer dal + le reste nak yalla kay def mais yow dinga essayer – dinga liggey – def tout li nekk sa xeel parce que bu nu la doter d’une nature »

Ce qui donne dans une traduction linéaire :

« Mais l’islam n’a pas prôné + n’a pas dit à la personne de venir seulement de s’asseoir de regarder comme ça Dieu lui donnera ça + cela aucune religion ne l’a pas dit + on vous a dit d’apprendre + de faire tout + mais d’essayer en tout cas + le reste alors c’est Dieu qui le fera mais toi tu dois essayer – tu dois travailler – faire tout ce qui est dans son esprit parce que si on te dote d’une nature »

Cette production orale en wolof représente un tout petit échantillon de l’usage abondant de mots outils comme « mais, parce que, pour » que le locuteur du wolof urbain, voire tout simplement contemporain, emprunte au français pour cimenter l’ossature de son texte. Quand le Sénégalais affirme parler wolof, il s’agit probablement de ce wolof métissé auquel les élèves sont doublement exposés : dans la famille, et à l’école par le biais de leurs enseignants. Voyons encore quelques témoignages d’enseignants :

« (...) et même pendant nos euh euh z’animations pédagogiques + les collègues se s’expriment + en wolof euh et euh c’est ce qui fait + en fait(e) que euh cet état de fait euh euh se répercute au niveau de euh de l’enseignement que nous dispensons – voilà donc euh – » ( PA p. 67, L12 à 16 et p. 68, L1 )

« les collègues + au lieu d’intervenir en français – euh emploient le fra – le wolof + à la place du français – par exemple ils s’expriment facilement en wolof + euh là euh il n’y a euh aucun blocage + et même euh le euh le prestataire a tendance lui aussi + à répondre en wolof comme les questions sont posées en euh euh + en wolof – euh souvent c’est l’animateur + qui est obligé + de recentrer les débats + de dire + qu’il faut parler en français + et souvent il est euh sujet à euh à une désapprobation générale + quand il le fait – » (PA p. 70, L7 à 16 et p. 71, L1 à L7 ).

L’analyse de ces témoignages montre, contrairement à la période coloniale où les langues nationales étaient interdites à l’école, et même si la législation scolaire n’a pas changé, que les pratiques et représentations des enseignants ont évolué. Le français n’est plus – du moins officieusement – la seule langue de l’école. Nous voyons là un formidable prétexte offert aux décideurs pédagogiques et politiques pour accélérer la mise en place d’un enseignement bilingue permettant à l’apprenant de construire mentalement les deux systèmes linguistiques bien séparés avant que des habitudes nocives ne s’installent et compromettent dans le futur toute chance de réussite d’une méthodologie cohérente et conséquente. À défaut de cela, une situation diglossique durable, au sens que lui donne J. Fishman (1976), risque de s’installer.

Ces témoignages d’enseignants sont également un aveu d’impuissance, face à l’influence des acquisitions linguistiques réalisées dans la langue première qui sont renforcées et réinvesties lors de l’apprentissage du français. N’est-ce pas là aussi une des causes de la faiblesse des élèves en français normé, faiblesse que nous essayerons d’analyser après avoir dressé le tableau de l’histoire de l’enseignement du français au Sénégal.

F-Historique de l’apprentissage du français au Sénégal.

La première école en langue française est ouverte en 1830. De cette date à nos jours, on peut diviser les péripéties de l’enseignement du français au Sénégal en quatre périodes distinctes.

1. Première période : 1830-1965

L’enseignement dispensé de 1830 à 1965 était de type normatif avec la méthode directe. C’était un enseignement en français langue maternelle malgré la brève tentative de Jean Dard. La langue africaine locale était interdite à l’école. L’usage du « symbole », objet que devait garder tout élève parlant en langue du terroir, permettait de rappeler à tous les élèves qu’ils devaient oublier dans l’espace scolaire leur langue familiale afin d’acquérir la composante prescriptive et coercitive du français le plus châtié.

Au lendemain de l’indépendance acquise en 1960, trois possibilités étaient offertes au Sénégal pour ce qui est de l’enseignement du français à l’école :

1. Conserver le contenu et les méthodes de l’enseignement de type colonial avec la langue française comme unique langue d’enseignement, des méthodes identiques à celles du français langue maternelle et un enseignement très élitiste. Cette attitude a été observée de 1960 à 1965.

2. Introduire les langues nationales dans l’enseignement et aboutir à un enseignement sénégalais en langue africaine, le français n’intervenant au mieux que comme matière d’enseignement.

Le Sénégal n’a pas opté pour cette deuxième possibilité et les États africains qui pensaient avoir définitivement décollé en substituant leurs langues nationales au français, sans prendre les précautions nécessaires, ont fait des atterrissages forcés. Le Sénégal a opté pour une introduction non précipitée des langues nationales dans le cursus scolaire.

3. Conserver le français comme langue unique d’enseignement, mais l’enseigner en tenant compte des langues nationales, principalement du wolof, langue véhiculaire nationale.

Le Sénégal, sous la présidence de Léopold Sédar Senghor, optait pour cette troisième alternative perçue comme plus prudente et plus conforme à l’option francophone du pays.

2. Deuxième période : 1965-1980

Cette période correspond d’une part à la codification des langues nationales et, d’autre part, à l’expérimentation de la méthode « Pour parler français » (PPF) du Centre de Linguistique Appliquée de Dakar (CLAD).

Pour mettre en pratique sa politique linguistique, le Sénégal, dirigé par Senghor, a d’abord entrepris une politique de formation de linguistes de niveau universitaire spécialisés dans la description des langues africaines. Puis, dès 1977, après la codification de l’écriture des six langues nationales retenues, une première tentative d’enseignement de celles-ci dans des classes expérimentales est lancée. Le manque de matériels didactiques et la faible formation des maîtres ont contribué à l’échec et à la suspension de l’expérience. Durant cette expérimentation, la langue nationale était d’abord objet d’enseignement, puis médium d’enseignement à partir de la quatrième année de l’élémentaire.

Parallèlement à cela, l’enseignement du français se poursuivait avec une méthodologie fondée sur des études de linguistique contrastive et des contenus mieux adaptés au contexte socioculturel et aux besoins des élèves. Cette méthodologie a été mise en pratique par le CLAD dans la méthode PPF. Ainsi, tout en conservant un horaire et des programmes de langue première, on a tenté d’adapter l’enseignement aux réalités socioculturelles sénégalaises. On n’a pas suffisamment tenu compte, dans les contenus des dossiers pédagogiques élaborés entre 1965-1975, du contexte dans lequel vivent les élèves et, sur le plan linguistique, l’introduction de la langue parlée a permis de faire du français non seulement une langue destinée à former une élite, mais également et surtout un instrument permettant au plus grand nombre de faire face aux besoins de communication en français. Le français ne devait plus être exclusivement littéraire, mais s’ouvrir aux divers domaines d’emploi de la langue courante pratique.

Les remèdes que le CLAD se proposait d’apporter étaient définis par Maurice Calvet (1969 : 89) de la manière suivante :

• « Empêcher la créolisation des langues en contact en renforçant, grâce à la notion de norme, le processus culturel de convergence et en ralentissant au maximum le processus naturel de divergence ;

• Favoriser et promouvoir par des moyens pédagogiques appropriés, grâce aux progrès de la linguistique, un bilinguisme harmonieux, support de deux visions du monde, peut-être différentes, mais presque toujours complémentaires et communicables ;

• Donner à l’élève de la classe de « langage » la possibilité d’améliorer progressivement et sûrement ses performances, dans le cadre de compétence qu’est toute langue, cadre préétabli et préexistant à tout apprentissage particulier ;

• Enfin, assurer à l’élève africain un meilleur devenir en le dotant des instruments linguistiques nécessaires à son épanouissement d’homme moderne ».

La méthode du PPF, en usage au Sénégal de 1965 à 1980, période pendant laquelle elle a été généralisée, a pour principale méthodologie une démarche structuro-globale dont les deux principes fondamentaux peuvent être ainsi formulés :

• priorité de l’oral sur l’écrit, mais non primauté ;

• utilisation des dialogues comme point de départ des leçons de langage.

La méthode est accompagnée d’un livre du maître conçu comme un ensemble de véritables fiches pédagogiques capables de combler l’insuffisance de la formation des maîtres. Une leçon de langage du PPF se décompose en trois étapes (Présentation, Exploitation, Fixation) correspondant chacune à des objectifs psychologiques et pédagogiques précis.

La suppression en 1981 du PPF par les États Généraux de l’Éducation et de la Formation se faisait sentir. Les praticiens attendaient en vain les nouvelles directives et les nouveaux dossiers pédagogiques qui devaient leur permettre de faire face aux nécessités quotidiennes de leur métier. Jusqu’en 1991, l’école sénégalaise attendait des propositions de méthodologies d’enseignement. Les classes pléthoriques et l’absence de directives pédagogiques claires ont contribué à la dégradation de la qualité de l’enseignement au Sénégal.

3. Troisième période 1981-1991

Ainsi, 1981 ouvre le début de la troisième période qui correspond à un vide méthodologique, à la suite de la suppression du PPF par les États Généraux de l’Éducation et de la Formation, convoqués par le Président de la République Abdou Diouf un mois après la démission du Président Léopold Sédar Senghor.

Les États Généraux de l’Éducation et de la Formation avaient réuni, pour la première fois dans l’histoire didactique du Sénégal, toutes les personnes et organisations intéressées par le processus éducatif : enseignants, chercheurs, représentants du gouvernement, syndicats, parents d’élèves, personnalités religieuses, organisations d’étudiants. Cette grande rencontre nationale devait procéder à une remise en question de tout le système éducatif sénégalais afin de mieux l’adapter aux besoins d’une « école nouvelle nationale, démocratique et populaire » parce que le système éducatif, calqué sur le modèle français, n’était plus adapté aux besoins de développement du pays.

Un nouveau système éducatif national (fondé sur les réalités sénégalaises et africaines), démocratique (accordant des chances égales pour tous quant à l’éducation) et populaire (rompant avec les pratiques élitistes de la sélection-élimination) devrait être mis en place par une Commission Nationale de Réforme (CNREF) chargée de finaliser les travaux des États Généraux de l’Éducation et de la Formation. C’est dans ce contexte de refonte générale que la méthode d’apprentissage du français, le PPF, a été supprimée et on a enregistré une recommandation « ferme » pour la promotion des langues nationales comme langues d’enseignement dans tout le cursus scolaire. Si les conclusions de la CNREF étaient appliquées, on assisterait au Sénégal à une nouvelle redistribution des fonctions des langues qui se résumerait à une triglossie : « langue du milieu, qui véhicule les valeurs culturelles et aide au développement cognitif de l’enfant, langue d’unification nationale, destinée à promouvoir la conscience nationale, et langue étrangère, pour les besoins de la communication interafricaine et internationale. » (O. Ka, 1993). Le wolof serait alors la langue d’unification nationale et le français la langue seconde.

En attendant l’application des conclusions de la CNREF déposées depuis 1984, le français, selon les textes officiels, doit être enseigné comme langue seconde et langue étrangère. La méthode PPF, décrite plus haut, était fortement orientée dans la perspective d’enseignement du français langue étrangère. Rien n’est encore fait pour l’enseignement du français langue seconde même si l’on perçoit mieux l’urgence d’une éducation bilingue (français/langue(s) nationale(s).

L’organisation du partenariat entre le français et les langues nationales a toujours été au cœur des préoccupations des autorités politiques. C’est ce que Christian Valentin, représentant personnel du Président de la République à la francophonie a réaffirmé dans son rapport-programme présenté au Troisième Sommet de la francophonie tenu à Dakar en mai 1989. L’idée force de ce rapport sur l’orientation de politique linguistique pour les pays africains francophones comme le Sénégal est d’inciter à :

• la définition d’une véritable complémentarité français/langues nationales excluant toute idée de hiérarchisation entre celles-ci et celle-là ;

• la prise en compte du multilinguisme dans la mise en place du processus de développement culturel, économique et social.

Cet objectif ne peut être atteint que par une politique de promotion effective des langues nationales à côté du français par le biais de l’enseignement. Il s’agit donc de faire de la langue de l’élève le premier instrument de découverte de son environnement, afin de mieux l’enraciner et de mieux poser les bases d’une véritable interculturalité fondée sur l’appropriation linguistique de la langue française par ses usagers. L’enseignement en langue nationale, loin d’être un frein à l’apprentissage du français, favorisera une bonne symbiose entre langues nationales et français, en évitant la tendance à la bilingualité soustractive dont les signes précurseurs sont les emprunts non motivés qui émaillent le discours des Sénégalais.

Il s’agit de gérer une situation de français langue seconde car il existe au Sénégal un environnement langagier (au sens large) porteur pour le français, qui partage sur le plan de la situation linguistique, avec le wolof, des espaces d’usage social relativement bien définis. D’autres espaces le situent en concurrence, en complémentarité, ou même en couple avec la langue première ou le wolof comme langue véhiculaire, marque évidente de sa place comme langue seconde.

4. Quatrième période 1991 à nos jours.

L’année 1991 marque le début d’une reprise d’activités didactiques avec les manuels de l’Institut National d’Étude et d’Action pour le Développement de l’Éducation (INEADE).

À partir de 1998, le Ministère de l’Éducation de Base et des langues nationales a initié une réforme des curriculums tentant enfin de répondre à l’exigence de l’enseignement non seulement des langues nationales mais aussi à l’exigence d’un enseignement du français avec un statut de langue seconde.

Diagnostic du sentiment de la faiblesse en français des élèves

L’observation directe des méthodes utilisées même à l’époque du PPF (certains conservateurs ont continué à user de la méthode directe tout en pratiquant timidement le PPF, car la nostalgie des méthodes pédagogiques de Davesne connues sous le célèbre titre de Mamadou et Bineta est encore vivace dans les esprits), et à fortiori depuis sa suppression en 1981, montre que le français est enseigné comme langue maternelle au Sénégal. Les manuels didactiques disponibles sont en général une pâle copie de ce que l’on retrouve en France. Les progressions sont très rigoureusement identiques à celles qui sont destinées aux élèves français. En vérité, on enseigne en français, du primaire au supérieur, comme le recommandent les Instructions Officielles, en croyant qu’on enseigne le français. Parfois, on peut déplorer le fait qu’on enseigne plus en français qu’on enseigne la langue française. Aussi, la Commission Nationale de Réforme des programmes de Français et l’Association Sénégalaise des Professeurs de Français, constatant les faiblesses enregistrées en français par les élèves, ont-elles souhaité la poursuite de l’enseignement de la langue française jusqu’en classe terminale, ce qui permettrait de rendre obligatoire le français comme matière en terminale et au baccalauréat. Ce constat de baisse de niveau en français et surtout de l’inadaptation des méthodes et méthodologies d’enseignement justifie une série de réformes et de remises en cause du système éducatif sénégalais.

Depuis le début des années 1970-1980, il a eu plusieurs tentatives de remise en cause du système pédagogique hérité de la colonisation qui malgré tout ce qu’on avait pu lui reprocher, avait pour effet de mettre des enfants, souvent très âgés (entre huit ans et douze ans) en contact direct avec un français soigné en les plaçant dans un environnement hermétique à toute autre influence linguistique que le français normé. La plupart de ces nouveaux recrutés à l’enseignement élémentaire avaient une solide acquisition de la langue première par un bain linguistique prolongé dans le milieu familial et avaient, en plus, très souvent aussi une bonne faculté de mémorisation due à la récitation des sourates du Coran. En plus de ces préalables cognitifs, les enseignants étaient choisis parmi l’élite de l’époque, s’ils ne sont pas français, et étaient bien rémunérés et surtout socialement bien considérés. La fonction enseignante était alors valorisée et valorisante. On comprend alors qu’une méthodologie d’apprentissage basée sur la mémorisation-application de règles et pratiquée par des enseignants motivés puisse obtenir quelques résultats satisfaisants.

Avec l’ère de l’indépendance, nous assistons à une sénégalisation des cadres de l’Éducation Nationale et à la formation sur place de ces cadres. Le bachelier d’aujourd’hui peut ne rencontrer dans sa formation que des enseignants sénégalais formés sur place et peut-être quelques rares conseillers pédagogiques français (détenteurs de la norme exogène du français). C’est dire que ceux qui servent de modèle à l’élève tout au long de son apprentissage scolaire du français et en français ont été formés sur place, tout comme la plupart des cadres dans d’autres secteurs d’activités.

Ce sont donc des enseignants, très souvent mal préparés, qui propagent parfois inconsciemment le « mauvais français », qu’on fustige et qui soutient le sentiment d’une faiblesse en « bon français ». En plus, l’émergence d’un français du Sénégal qui a du mal à trouver une parcelle de légitimité à l’école et qui se fait sentir dans beaucoup de productions en français, ne facilite pas l’acquisition d’une bonne compétence capable de générer un usage acrolectal de la langue officielle. Le refus de ce français mésolectal, que l’enfant rencontre quotidiennement, crée une source de conflit sur la variété du français à utiliser, variété que l’enfant d’avant les années 60 ne connaissait pas. Ce dernier était exposé à une seule variété, qui était le français scolaire normatif ou français acrolectal, français de Mamadou et Bineta de D’Avesnes.

Une formation de base insuffisante, une formation continue inexistante, des effectifs pléthoriques constituent une partie de la toile de fond explicative de la faiblesse du niveau, principalement en français, des élèves sénégalais. Cette faiblesse entraîne la baisse du niveau dans les autres matières d’enseignement parce que le médium de l’enseignement n’est pas assimilé de manière adéquate.

Pour un aménagement des langues dans l’enseignement

Face à cette situation de crise didactique que faire ? Il est urgent de repenser le système éducatif en entier en tenant compte, d’une part de l’environnement sociolinguistique dans lequel doit s’exercer le métier d’enseignant du français et en français, et, d’autre part, de la nécessaire corrélation entre les impératifs d’une éducation en langues nationales et d’un apprentissage obligatoire en français et du français.

Une démarche de type contrastive devrait être à la base de toute réflexion méthodologique car la situation sociolinguistique est telle qu’il est impossible de faire table rase des langues de souche sénégalaise et ou de renoncer au français. Enseigner le français aujourd’hui suppose également mettre en place une structure ou une stratégie permettant d’exploiter les ressources et (ou) les représentations acquises en même temps que les langues nationales. Cela peut se faire en retardant l’âge de la scolarisation pour favoriser une meilleure acquisition de la langue première en famille ou dans des structures para ou préscolaires (école maternelles post-scolarisation, écoles arabes, écoles coraniques, écoles religieuses, écoles franco-arabes, écoles communautaires de base, etc.).

L’enseignement des langues nationales n’interviendrait dans l’éducation de base (école primaire) que comme matière d’enseignement au même titre que les autres matières participant à la formation et plus précisément à l’éducation de l’apprenant. Les langues nationales n’interviendraient comme langue d’enseignement que dans le cadre de l’éducation civique et morale, de l’éducation pour l’environnement et la santé. Les langues nationales seront alors les langues de l’enracinement et la langue seconde qu’est le français, la langue d’ouverture. C’est dans ces conditions et avec une grande précaution (en étant prudent sur l’option enseignement en langues nationales sur tout le cursus et en optant plutôt et d’abord pour l’enseignement des langues nationales du primaire à l’université et dans les écoles de formation) qu’on organisera de manière fiable et en l’inscrivant dans le long terme, le partenariat entre français et langues nationales. Une conséquence inévitable de ce partenariat où le français est en situation de langue seconde sera le développement d’une norme endogène, marque de l’appropriation du français, dont l’école doit tenir compte dans l’appréciation des compétences communicatives des apprenants.

Abdou Diouf, dans son discours au Sommet francophone de Cotonou en 1995, ne recommandait-il pas cela aux pays africains lorsqu’il disait : « Prenons en compte le français d’Afrique, tout en conservant à la langue sa structure et sa solidité ».

N’est-ce pas là une reconnaissance de l’appropriation du français par les Africains et un appel pressant à tenir compte de la norme endogène, c’est-à-dire du français parlé par les Africains à des Africains. Ces Africains, locuteurs légitimes du français, sont ceux que leur statut social habilite et oblige à la fois à pratiquer cette langue de partage sans toutefois se détacher des modes de vie et de pensée africains et dont les usages linguistiques et langagiers ne mettent pas en cause l’intégrité du français. L’un des signes de l’appropriation du français en Afrique et au Sénégal en particulier est le développement d’un discours mixte qui témoigne de la coprésence permanente du français et des langues nationales dans les productions langagières.

C’est cette présence de la norme endogène (variété qui ne correspond pas toujours à la norme scolaire ou norme académique qu’est censée transmettre l’école) dans des situations de communication où la vigilance métalinguistique est en veilleuse qui crée souvent une certaine insécurité linguistique et qui motive le sentiment de la baisse de niveau en français. Les représentations du français à l’école sont celles qui sont liées au français littéraire, ce qui ne permet pas de prendre souvent conscience du développement d’une norme endogène, conséquence linguistique d’une situation de français langue seconde.

La situation de langue seconde, comme le précise le CREDIF dans l’enquête sur l’« Usage social du français langue seconde en milieu multilingue dans certains pays francophones », est celle où objectivement les locuteurs ont la possibilité quotidienne d’utiliser ou au moins d’être confrontés à cette langue dans leur commerce quotidien, entre membres d’une même communauté vivant dans une situation multilinguistique et multiethnique. Ou encore cette autre situation dans laquelle la langue a été adoptée comme un instrument de communication permettant le dialogue entre les peuples parlant des langues de diffusion limitée et n’ayant pas d’audience en dehors des pays où elles se pratiquent. Le français est ainsi, pour l’Afrique francophone, langue de communication internationale. C’est pour cela qu’il est bon de marquer la différence entre l’apprentissage d’une langue étrangère et l’apprentissage d’une langue seconde parce que les besoins de formation en français langue seconde sont nettement plus élevés que ceux qui sont ciblés en français langue étrangère. En effet, l’apprenant de français langue seconde est destiné à acquérir une compétence communicative proche de celle du locuteur natif tout en étant potentiellement sensible aux différents usages mésolectaux et même acrolectaux de la langue. Il se doit d’être le prototype du bon francophone, au terme de sa formation, parce qu’il sera non seulement locuteur mais aussi un potentiel utilisateur scientifique du français. Le français, en situation de langue seconde, est alors langue d’accès au savoir spécialisé, au savoir de pointe, langue de communication scientifique et donc langue d’ouverture vers le monde. Enseigner le FL2 suppose une méthodologie préalable permettant de définir un seuil de dicibilité francophone car l’acceptabilité de la norme endogène doit s’accompagner d’une exigence sur la correction grammaticale. Dès lors, il nous semble qu’il est d’évidence nécessaire de revoir l’enseignement du français en fonction des besoins de communication en langues nationales et en français et surtout de tenir compte de l’environnement dans lequel baigne l’enfant. C’est cet environnement qui permet d’analyser la variété de français que l’enfant consomme parfois passivement et qui est à l’origine de la baisse de niveau en français que tout le monde déplore.

L’organisation de ce partenariat suppose une politique de planification linguistique encouragée et mise en œuvre concrètement par les décideurs politiques. Pour cela, décideurs politiques et pédagogiques doivent contribuer à étendre l’enseignement des langues nationales dans tout le cursus scolaire et universitaire en un premier temps et dans un second temps passer progressivement à l’enseignement en langues nationales en commençant par l’éducation de base.

Pour conclure, disons que le français est et restera encore pour plusieurs générations la langue officielle du pays. Mais il est souhaitable que la politique de revalorisation des langues nationales soit plus hardie et les méthodologies d’enseignement du français rénovées et adaptées à la réalité sociolinguistique du pays. Pour bien gérer sa francophonie, le Sénégal doit tendre vers l’application des décisions politiques qui recommanderaient une éducation multilingue. C’est dans cette perspective seulement qu’on éviterait de « métisser » le français et qu’on limiterait le processus de sa restructuration par les langues nationales. Un bon enseignement du français qui tiendrait compte de la norme endogène après un travail de normalisation et une « bonne » politique éducative, et qui donnerait aux langues nationales la place qu’elles méritent dans le tissu éducatif sénégalais, favoriseraient – à n’en pas douter – la réalisation d’un bilinguisme équilibré chez les jeunes Sénégalais.

C’est là, nous semble-t-il, la façon d’inscrire le français dans le multilinguisme et la clé du succès de la francophonie non seulement sénégalaise mais aussi africaine. Il est surtout à noter que les pays aujourd’hui émergents ou en voie de l’être ont eu comme booster l’utilisation de leur propre lange et leur propre monnaie. A méditer

Mr Amadou DIALLO



04/08/2016
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